Les écoles

De Corentin Pabiot
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Ainsi que nous l’avons vu plus haut, les premiers siècles de l’Islâm connurent une floraison de tendances. Plusieurs d’entre elles cherchèrent à se systéma- tiser, sans aboutir cependant à la constitution d’écoles durables. Ainsi les analyses, fort empiriques encore, de l’imâm al-Awzâ‘î,((Mort en 157 de l’Hégire)) ou encore celles de l’imâm Sufyân ath-Thawrî. C’est au début de l’ère ‘abbâside, donc au troisième siècle de l’Hégire, que se constituèrent les quatre grandes écoles de droit musulman toujours vivantes. Elles se partagent jusqu’à nos jours, toute l’étendue de l’Islâm sunnite.

Les caractéristiques générales

a. L’école hanafite – vous avez dit laxiste ?

On a coutume de présenter le hanafisme comme l’école juridique aux tendances les plus « laxistes ». A vrai dire, il serait fallacieux de l’accuser de telles tendances. Ce qui la caractériserait plutôt, c’est un effort pour développer le raisonnement juridique, ou, si l’on préfère, une certaine rationalisation des méthodes. En effet, on a vu que les Iraquiens étaient pauvres en traditions prophétiques. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’ils aient fait grand usage du raisonnement juridique et y soient devenus très habiles. Je me bornerai à souligner deux modalités de ces méthodes. L’école hanafite insiste sur l’utilisation non seulement du « jugement personnel » du prudens (ra’y), mais sur la finalisation de ce jugement par la recherche du mieux, jugement préférentiel (istihsân). En outre, la décision ainsi formulée doit avoir pour base un élargissement de la troisième source du droit, le qiyâs ou raisonnement analogique. Les hanafites resteront célèbres pour leur recherche de la ‘illa, du motif causal qui fonde cette analogie. Telle est bien la note la plus marquante du hanafisme.

b. L’école mâlikite – vous avez dit libérale ?

On a souvent dit que l’imâm Mâlik était le seul des quatre imâms à autoriser le principe de l’intérêt indéterminé (al-maslaha al-mursala) et que celui-ci était donc allé plus loin dans « le sens libéral ». Or à y regarder de plus près on s’aperçoit que les trois autres imâms eux aussi autorisaient ce principe, quoiqu’ils ne le rangeassent pas parmi les sources légales du droit musulman en tant que telles, le considérant comme une des formes du raisonnement analogique. C’est ainsi que l’imâm Ahmad considérait l’intérêt indéterminé comme une des branches du raisonnement analogique, que l’imâm ash-Shâfi‘î l’appelait qiyâs et qu’Abû Hanîfa le nommait istihsân… L’imâm Mâlik est surtout remarquable pour avoir ajouté, aux sources du droit connues des autres docteurs, un autre élément : la coutume de Médine. Pour cet imâm, la coutume de Médine est une des sources du droit musulman. On sait aussi l’importance accordée par l’imâm Mâlik à la fois au consensus des savants et à leur jugement personnel. Par ailleurs, l’école mâlikite est celle qui tient le plus compte de cette source secondaire qu’est le ‘urf ou coutume.

c. L’école shâfi‘ite – vous avez dit « syncrétiste » ?

Il serait erroné de percevoir l’école shâfi‘ite comme un mélange « éclectique » des avis prônés par les partisans du hadîth, et ceux défendus par les partisans du ra’y, comme l’ont prétendu certains. Car alors il faudrait poser que le shâfi‘isme est une simple juxtaposition d’éléments de provenances diverses sans qu’aucun principe d’ordre plus profond vienne les unifier et les constituer, ce qui ne peut pas être, pas plus qu’un tas de pierres ne saurait constituer un édifice. Il n’est que de voir la façon dont l’imâm ash-Shâfi’î prendra ses distances par rapport au consensus de Médine, principe pourtant prôné par Mâlik, il n’est que de constater la manière dont il rejettera la recherche interminable des causes logiques, système cher à Muhammad Ibn al-Hasan et à l’école hanafite, pour conclure à l’autonomie parfaite d’ash-Shâfi‘î par rapport à ses anciens maîtres. Plutôt, le shâfi‘isme se caractérise par une synthèse des deux écoles du hadîth et du ra’y, c’est-à-dire par une étude approfondie des principes de ces deux écoles pour en tirer des conséquences juridiques spécifiques. On dira en résumé que la réussite réelle du shâfi‘isme est d’avoir valorisé la Sunna comme source du droit, minimisant par là l’apport du jugement prudentiel et préférentiel, et d’avoir élargi le consensus mâlikite limité à Médine, en un consensus général.

d. L’école hanbalite – vous avez dit rigoriste ?

Faire du hanbalisme l’école rigoriste par excellence serait une vue aussi fragmentaire et sommaire que de parler du « laxisme » hanafite ou du « libéralisme » mâlikite. Disons plutôt que l’école hanbalite, élaborée à partir des recueils de hadîth du grand traditionniste Ahmad Ibn Hanbal, déborde de beaucoup le domaine juridique tel qu’on l’entend au sens occidental du mot. Le hanbalisme est avant tout une attitude moraliste. N’admettant par exemple que les traditions du Prophète – sur lui les grâces et la paix – et des premiers Compagnons, sans recours au jugement préférentiel (istihsân) ni à l’opinion personnelle (ijtihâd), le taqlîd ou acquiescement au passé prend chez eux une valeur non pas d’acceptation passive, mais d’intégration vivante à un passé toujours actuel. Chez les hanbalites, le souci des valeurs morales primera volontiers la solution juridique ; fortement attachés aux notions de justice et de contrat, ils entendront en sauver l’esprit plutôt que la lettre.

L’école hanafite

L’école hanafite se maintint toujours, mais non exclusivement en ‘Irâq où elle est née, et en Syrie. Elle gagnera assez vite les territoires de l’est. L’Afghânistân lui a reconnu un statut préférentiel et elle est majoritaire parmi les sunnites du Pakistan, de l’Inde, de la Chine. Elle eut enfin toutes les faveurs des musulmans d’origine turque, en Asie centrale d’abord, mais surtout dans l’Empire ottoman dont elle fut le rite officiel. Elle domine à l’heure actuelle en Turquie, et reste présente, mais minoritaire, dans les pays arabes jadis sous tutelle ottomane.

L’école mâlikite

Née à Médine, l’école mâlikite sera assez vite connue en Egypte, en Haute-Egypte surtout. Elle rayonnera de là sur l’ensemble de l’Afrique musulmane. Si le hanafisme continue d’avoir des représentants en Tunisie et en Algérie, qui furent sous la tutelle ottomane, le mâlikisme y reste l’école de beaucoup la plus suivie, et la seule reconnue au Maroc. C’est sous sa forme mâlikite que l’Islâm est le plus répandu en Afrique noire. On en trouve enfin des traces sur la côte est de la péninsule arabique. L’école Mâlikite s’est à un moment divisée en trois tendances différentes : celle de Kairouan, fondée par Sahnûn ; celle de Cordoue, fondée par Ibn Habîb ; celle de l’Irâq, fondée par le cadi Ismâ‘îl et ses disciples. Ni les Maghrébins, ni les Espagnols, n’acceptèrent le jugement des Irâqiens, s’il n’était pas appuyé par une tradition remontant à l’imâm Mâlik ou à l’un de ses disciples. Plus tard, ces trois tendances se fondirent en une seule, notamment grâce aux efforts d’Abû Bakr at-Turtûshî et, plus tard, d’Ash-Shârimsâhî.

L’école shâfi‘ite

L’école shâfi‘ite continue de dominer en Basse-Egypte, au Hijâz (du moins en partie), en certaines régions de l’Arabie du sud, en Afrique orientale musulmane , en Indonésie, et Malaisie. Elle est présente aussi en Erythrée et Somalie, sur les côtes Malabar et Coromandel de l’Inde, et parmi les groupes musulmans de Thaïlande, du Vietnam, des Philippines.

L’école hanbalite

Durant longtemps, et au contraire des autres écoles, elle n’eut pas sous sa mouvance des territoires délimités. Elle fut très influente à Baghdâd. Elle eut de nombreux représentants en Palestine et en Syrie, spécialement à Damas et ses alentours.