Le Fiqh

De Corentin Pabiot
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Définition du fiqh

A l’origine, le mot fiqh signifie le fait de saisir le sens d’une parole quelconque. Par la suite, on a appelé fiqh le fait de comprendre le sens du Coran et de la Sunna quant aux statuts légaux (ahkâm) dont doivent être affectés les multiples cas juridiques susceptibles de se produire pour tout « assujetti » à la Loi révélée, à savoir tout musulman pubère et sensé ; autrement dit quant à savoir si tel acte donné, au regard de la Loi révélée, doit être considéré comme interdit ou réprouvable ou indifférent ou recommandé ou obligatoire.
C’est l’ensemble des statuts juridiques tirés de ces sources, le Coran et la Sunna, qui constitue le fiqh, ou encore le droit musulman. Ce « droit » traite aussi bien des obligations cultuelles (‘îbâdât) que des relations sociales (mu’âmalât), que du domaine pénal ou encore du statut personnel.

Genèse du fiqh

A l’époque de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – la Loi divine procédait directement de lui. Il recevait les révélations coraniques et les expliquait sur le champ, par ses paroles, par ses actes ou par ses approbations tacites. Aucune cause de désaccord entre les musulmans ne pouvait surgir à cette époque puisque le Prophète – sur lui la grâce et la paix – était la référence absolue ; nul n’était besoin de recourir aux textes scripturaires, Coran et Sunna, à la spéculation par voie interprétative ou au raisonnement par analogie (qiyâs).

Mais après la mort de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix –, l’assimilation de la Loi divine par révélation ne fut plus possible. Le Coran se conserva alors par des chaînes de garants (de rapporteurs), ininterrompues, multiples et convergentes (tawâtur). Quant à la Sunna, les Compagnons de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – convinrent tous que c’était pour nous, un devoir d’agir en accord avec ce qui, des actes ou des paroles de Muhammad, nous était parvenu de façon authentique et sûre.

Dieu a dit dans le Coran :

Vous qui croyez, obéissez à Dieu, obéissez à l’Envoyé et aux responsables d’entre vous. Si vous êtes en désaccord sur une affaire, déférez-la à Dieu et à l’Envoyé, pour autant que vous croyiez en Dieu et au Jour dernier. Cela sera meilleur pour vous, et de plus belle incidence
s. 4, v. 59

c’est-à-dire : si vous êtes en désaccord sur quelque chose, déférez-le à Dieu et à Son Envoyé tant qu’il vit parmi vous ; s’il meurt – sur lui les grâces et la paix –, alors référez-vous au Coran et à sa Sunna après lui.

Al-Baghawî rapporte d’après Mu‘âdh : « Lorsque l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – voulut envoyer Mu‘âdh au Yémen, il lui demanda :
– Comment trancheras-tu les différends portés devant toi ?
– Je rendrai mon jugement selon le Livre de Dieu, répondit-il.
– Et si tu ne trouves pas la solution dans le Livre de Dieu ?
– Je la chercherai dans la Sunna de Son Prophète, reprit-il.
– Et si tu ne la trouves pas dans la Sunna ?
– Je mettrai à profit mon opinion, et n’épargnerai pas mes efforts pour trouver la solution »
. Puis Mu‘âdh relate : « L’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix –, d’un geste de satisfaction, me frappa la poitrine, disant : Louange à Dieu qui a permis au messager de son Prophète de l’agréer ».

Al-Hâkim rapporte d’après Abû Hurayra que l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – a dit : « Après ces deux choses que j’ai laissées parmi vous, vous ne vous égarerez plus : Le Livre de Dieu et ma Sunna ».

A la suite de cela, le consensus communautaire (ijmâ‘) occupa une position adjacente à celle du Coran et de la Sunna. En effet, les Compagnons du Prophète – sur lui la grâce et la paix – tombèrent d’accord sur le fait de désavouer ceux dont les avis contredisaient leur consensus, non qu’ils l’aient fait sans raison sérieuse, car l’accord des gens comme eux ne pouvait avoir lieu sans référence solide au Coran et à la Sunna. Dieu a dit dans le Coran :

Qui rompt avec l’Envoyé après que la guidance se soit à lui manifestée, qui adopte un chemin autre que celui des croyants, de lui Nous Nous détournons autant qu’il se détourne, et le faisons brûler dans la Géhenne. – Exécrable destination !

s. 4, v. 115.
A quoi il faut ajouter l’infaillibilité de la Communauté musulmane, laquelle est chose prouvée. Ibn Mâjah rapporte dans ses Sunan le dire du Prophète sur lui la grâce et la paix – suivant : « Ma Communauté ne se réunira pas sur une erreur ». C’est ainsi que le consensus communautaire devint une autre source du droit musulman.
Si l’on examine les procédés par lesquels les Compagnons et les premiers musulmans opéraient pour déduire des lois du Coran et de la Sunna, on constate qu’ils rapprochaient les cas semblables et tiraient leurs conclusions par analogie, soit pas accord unanime, soit par concession des uns aux autres.
Après la mort de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – une multitude de cas se présentèrent, qui n’étaient pas prévus par les textes sacrés. Il fallut donc comparer et rapprocher ces cas nouveaux de ceux qui se trouvaient dans les textes. De la sorte, la comparaison de deux cas semblables étant justifiée, on pouvait s’assurer que tous deux étaient régis par la même loi divine.

Dans son al-Milal wa an-Nihal, Muhammad Ibn ‘Abd Al-Karîm Ash-Shahrastânî a dit à ce sujet : « Nous savons que les évènements particuliers et les précédents juridiques, aussi bien en matière d’actes cultuels que de rapports sociaux, sont trop nombreux pour être énumérables. Et nous savons aussi de science certaine qu’il ne saurait y avoir autant de textes (du Coran et de la Sunna) qu’il y a d’évènements particuliers. C’est même là une hypothèse inconcevable que des textes, qui sont en nombre nécessairement finis, puissent servir jusqu’au bout à des évènements dont la nature est d’être infinie. D’où il résulte avec certitude que la recherche juridique et le raisonnement analogique sont indispensables, et qu’à tout évènement particulier doit correspondre, par la force des choses, une recherche de cette nature ».

Ainsi se forma une quatrième source de droit : le raisonnement par analogie, sur lequel les premiers musulmans se mirent d’accord. Telles sont, selon la majorité des docteurs de la Loi sunnites, les quatre sources du droit musulman. D’autres ont ajouté des sources supplémentaires dont nous parlerons en leur lieu.

En gros, on peut donc dire qu’à cette époque, le fiqh s’est constitué par transmission ininterrompue, multiple et concordante, mais que, dès que surgissait un cas susceptible de constituer un précédent juridique en matière de licite ou d’illicite, on recourait alors à la recherche juridique, laquelle avait elle-même recours à plusieurs sources. La première est le Coran, auquel il convient de s’en tenir s’il offre un sens évident ou un texte péremptoire. On considère alors que le cas susceptible de créer un précédent est implicitement contenu dans l’un ou l’autre de ces deux moyens d’argumentation juridique. Si tel n’est pas le cas, le second recours est celui de la Sunna, où l’on s’applique à chercher une anecdote qui puisse avoir un effet juridique. En cas de succès, on s’y tient sans chercher plus loin. En l’absence de cette anecdote, il ne reste plus qu’un dernier recours, qui est la recherche juridique libre.

Ainsi donc, déjà du temps des Compagnons, les sources du droit était au nombre de quatre, Coran, Sunna, consensus communautaire et raisonnement analogique.

La constitution des écoles de fiqh

Dans les premières décades de l’Islâm, la proximité du temps de l’Envoyé de Dieu – sur lui les grâces et la paix – et des Compagnons permettait aux premiers juristes de l’Islâm de résoudre facilement les cas qui se présentaient à eux en recourant directement au Coran, à la Sunna et à la pratique des Compagnons. Mais à mesure que la conquête s’étendait, de nouveaux peuples, aux éléments divers, aux institutions et aux lois spéciales, ne laissèrent pas de faire surgir de nouveaux cas dont la solution directe ne se trouvait pas dans le Coran et la Sunna. Force était donc d’établir des comparaisons, de recourir au raisonnement analogique, d’émettre un jugement personnel de façon à répondre à ces nouveaux cas non mentionnés explicitement dans les textes. Entre autres Compagnons qui, très tôt, prirent parti pour un recours plus systématique au raisonnement analogique, citons les quatre califes Abû Bakr, ‘Umar ibn Al-Khattâb, ‘Uthmân ibn ‘Affân et ‘Alî ibn Abî Tâlib, mais aussi ‘Abd-Allâh ibn Mas‘ûd, Zayd ibn Thâbit, Ubayy ibn Ka‘b ou encore Abû Mûsâ al-Ash‘arî…
Cette tendance se manifesta surtout en ‘Irâq, sous l’impulsion notoire de ‘Abd-Allâh ibn Mas‘ûd, pays où, du fait des antécédents culturels et de la variété de la population, les nouveaux cas posés étaient plus fréquents qu’à Médine et au Hijâz.
Les juristes musulmans qui s’adonnèrent à la pratique de l’interprétation juridique se partagèrent finalement sur deux tendances : celles des partisans du hadîth, ahl al-hadîth, et celle des partisans du jugement personnel, ahl ar-ra’y.
Les premiers, soit les partisans du hadîth, furent généralement originaires du Hijâz. On leur donne cette dénomination en raison du soin qu’ils mirent à collecter les traditions prophétiques et à transmettre les dires des Compagnons. Se réclamant à juste titre de l’enseignement de Compagnons comme ‘Abd-Allâh ibn ‘Umar[1], ils faisaient de ces textes le fondement des prescriptions juridiques propres à leur école et ils ne recouraient que rarement au raisonnement analogique – l’implicite comme l’explicite –, et cela dans les cas où ils n’avaient à leur disposition ni tradition ni aucune espèce de témoignage écrit.
Quant aux partisans du jugement personnel, ils furent pour la plupart originaires de l’Irâq et disciples de l’imâm Abû Hanîfa an-Nu‘mân Ibn Thâbit, lequel tenait son fiqh des Successeurs directs des Compagnons[2].
Ce furent Muhammad Ibn al-Hasan ash-Shaybânî, le cadi Abû Yûsuf Ya‘qûb Ibn Ibrâhîm al-Ansârî, Zufar Ibn al-Hudhayl, al-Hasan Ibn Ziyâd al-Lu’lu’î, Ibn Samâ‘a, Abû Mutî‘ al-Balkhî, Bishr al-Mârisî.
On les appela partisans du jugement personnel parce qu’ils apportèrent le plus grand soin à fixer les rapports du raisonnement analogique avec les sciences religieuses, à extraire par mode d’induction les idées générales des textes, pour conférer ensuite à ces mêmes idées une valeur normative par rapport à la pratique juridique.
C’est au cours des deuxième et troisième siècles que le droit musulman se constitua en écoles clairement constituées. Ce fut le résultat d’une élaboration juridique progressive. Il faut attendre la fin du premier siècle pour rencontrer des spécialistes vraiment connus en jurisprudence religieuse, tel Ibrâhîm an-Nakha‘î, Ibn Abî Shibrima, ‘Uthmân al-Battî et autres.

Genèse de la science des sources du droit musulman

La science des « racines », ou sources du droit musulman, est d’origine tardive en Islâm. La raison en est que les premiers musulmans avaient une pratique de la langue arabe qui leur suffisait pour tirer le sens des mots issus du Coran et de la Sunna (sachant que c’est du sens des mots qu’on tient la plupart des règles à observer pour tirer des statuts légaux des cas particuliers). D’autre part, ils n’avaient pas besoin d’examiner les chaînes de transmission des traditions prophétiques (comme ce sera le cas plus tard), puisqu’ils étaient contemporains des transmetteurs, qu’ils connaissaient personnellement.
Mais ces premiers musulmans moururent et, avec eux, la première génération de l’Islâm ; toutes les sciences devinrent alors des techniques. On ne parla plus alors de lecteurs du Coran pour désigner les érudits mais de juristes et de savants. Ces juristes durent apprendre les règles et les principes de base, pour pouvoir tirer les lois des textes probants.
C’est ainsi qu’ils mirent au point, par écrit, une branche particulière, à laquelle ils donnèrent le nom des sources du droit, usûl al-fiqh. Ainsi, les docteurs musulmans, comparant le droit à un arbre dont les branches puisent la vie dans quelques racines puissantes, divisèrent la science du droit en deux parties nettement distinctes : d’une part, la science « des racines » (usûl) qui fait connaître la méthode suivant laquelle le droit s’élabore, les principes directeurs de ce droit ; et d’autre part, la science « des branches » (furû’), qui comporte un simple exposé du droit pratique, élaboré suivant la méthode et basé sur ces principes, et qu’on appelle fiqh.
Le premier auteur sur ce sujet fut l’imâm Ash-Shâfi‘î, qui dicta, là-dessus, sa fameuse Risâla.
Fakhr ad-Dîn ar-Râzî, parlant de l’apport de l’imâm ash-Shâfi‘î en ce domaine, a dit : « Certes, avant l’imâm ash-Shâfi‘î, les musulmans discutaient des questions ayant trait aux sources du droit : ils se démontraient et se faisaient des objections. Mais ils ne disposaient pas d’un code global auquel se référer pour connaître les preuves de la Loi révélée, et déterminer les modalités de leur confrontation et leur prépondérance. L’imâm ash-Shâfi‘î a élaboré les principes du droit. Il a élaboré un code global auquel se référer dans la connaissance des degrés des preuves de la Loi révélée. Il est établi que l’imâm ash-Shâfi‘î est à l’étude du droit ce qu’Aristote fut à l’étude de la logique ».
Plus tard, les juristes hanafites en firent autant. Ils discutèrent et vérifièrent à fond les règles de base. C’est ainsi que la science des sources du droit s’est perfectionnée, que les problèmes ont été présentés clairement et que les règles de base ont été posées.

Le cadre politique

Avec l’avènement des ‘Abbâsides [3], c’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour la jurisprudence islamique. Les circonstances politiques ont eu une influence décisive dans son élaboration.
En effet, les ‘Abbâsides entendirent appliquer rigoureusement la Loi révélée à la vie quotidienne, s’en inspirer dans toutes leurs décisions : aux juristes de leur fournir des recueils de textes, de les codifier. C’est de cette époque que date les premières codifications législatives et que s’élaborent, autour de quelques imâms, les principales écoles de droit.
Outre les quatre écoles que nous connaissons aujourd’hui, il y en avait de nombreuses autres à l’époque, qui étaient plus ou moins étendues et qui par la suite disparurent, soit à cause de l’absence de personnalités vigoureuses pour les défendre, soit par suite de principes trop rigoureux, comme l’école dhâhirite qui refusait, globalement, de recourir à l’analogie et s’en tenait trop rigidement à la littéralité des textes[4]. Dans son « Al-Muqaddima », Ibn Khaldûn (né en 1332, mort en 1406) a dit à ce propos : « L’école dhâhirite a disparu aujourd’hui avec ses docteurs, désapprouvée par la grande majorité des musulmans. Elle ne survit plus que dans l’éternité des livres. Certes, il arrive que des gens désoeuvrés s’attachent encore à cette école et à ses ouvrages pour en pénétrer le système, mais ils perdent leurs temps et se heurtent à l’opposition et la désapprobation de la grande majorité orthodoxe. Celle-ci voit en eux des innovateurs qui s’instruisent dans des livres dont aucun maître n’a la clef ».
Parmi les autres imams d’écoles, on cite : al-Awzâ‘î (mort en 157 H.), Sufyân ath-Thawrî (mort en 161 H.), al-Layth Ibn Sa‘d (mort en 175 H.), Sufyân Ibn ‘Uyayna, Ibn Jarîr at-Tabarî (mort en 310 H.) etc…

Les législations étrangères ont-elles réagit sur le droit musulman ?

Le fiqh est une discipline spécifiquement islamique. Certes, un des buts des docteurs de la Loi musulmane fut d’appliquer les principes du Coran et de la Sunna aux cas nouveaux que pouvaient susciter la vie quotidienne. Il en résulta que des influences locales vinrent interférer très tôt, et que leur importance ne cessa de croître à mesure que l’Islâm se répandit en des terres déjà pourvues d’une solide structure juridique, tels les Empires byzantin et sâsânide. Aussi bien, avant de se diversifier en écoles de droit, le fiqh se diversifia selon les régions : Médine, ‘Irâq, et plus tard l’Egypte… Mais vouloir juger du fiqh par la seule étude de cette adaptation aux coutumes juridiques préexistantes, comme l’on fait certains orientalistes serait n’en point saisir l’esprit le plus profond[5]. C’est en fonction d’abord du Coran et de la Sunna qu’il se situe, et non en fonction de sources extra-islamiques.
Ainsi, le fiqh n’est-il point quelque chose de « surajouté » à la doctrine islamique, quelque chose qui serait venu s’y adjoindre après coup et du dehors, mais il en est au contraire une partie intégrante, puisque, sans lui, elle serait manifestement incomplète. La supposition toute gratuite d’une origine étrangère, byzantine ou persane, est d’ailleurs contredite formellement par le fait que les moyens d’expression propres au fiqh sont étroitement liés à la constitution même de la langue arabe. Et s’il y a incontestablement des similitudes avec les autres droits qui existent ailleurs, celles-ci s’expliquent tout naturellement et sans qu’il y ait besoin de recourir à des « emprunts » hypothétiques, car, le besoin de règles régissant les rapports humains étant un dans toutes les sociétés, tous les droits sont nécessairement identiques en leur essence quelle que soit la diversité des formes dont elles se revêtent.

  1. L’imâm Mâlik ibn Anas rapporte d’après Nâfi‘ que ‘Abd-Allâh ibn ‘Umar a dit : « La science se résume à trois choses : le Livre de Dieu parlant, la Sunna passée et (le fait de dire) je ne sais pas »
  2. On rapporte qu’Abû Hanîfa a dit : « J’ai recueilli le fiqh de ‘Umar, ‘Alî, ‘Abd-Allâh Ibn Mas‘ûd et Ibn ‘Abbâs, d’après leurs disciples directs ».
  3. Descendants d’Al-‘Abbâs, un oncle du Prophète Muhammad – sur lui la grâce et la paix –, qui prirent la tête du califat de 750 jusqu’en 945.
  4. Les chefs de l’école dhâhirite étaient Dâwûd Ibn ‘Alî, son fils et ses disciples, dont le fameux Ibn Hazm de Cordoue (né en 994, mort en 1063). Pour les dhâhirites, les uniques sources de la Loi sont les textes et le consensus communautaire. A leurs yeux, l’analogie évidente (jalî) et la causalité (‘illa) suggérées par les textes sont contenues dans les textes eux-mêmes, puisqu’un texte qui énonce un motif permet de juger dans tous les cas semblables. Ils répètent à ce propos, le dicton bien connu comme quoi : « Ce fut Satan qui, le premier, chercha des analogies ». Ils n’ont manifestement pas pris garde au fait que la recherche des prescriptions de la Loi ne peut pas être une démarche étrangère à cette même Loi. Au surplus, jamais Loi révélée ne reçut sa forme définitive sans faire une place, à ses côtés, à la notion de recherche juridique. La raison en est qu’il est indispensable à son expansion dans le monde d’admettre que la recherche juridique doit être prise en considération. De plus, nous avons sous les yeux la façon dont les Compagnons de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – ont pratiqué l’analogie, notamment en ce qui concerne le droit successoral. C’est ainsi, par exemple, qu’ils ont donnés au frère du défunt les mêmes privilèges qu’à l’aïeul. Ces faits sont trop connus pour pouvoir échapper à tout observateur impartial de la biographie des Compagnons.
  5. Entre autres orientalistes qui ont emprunté cette voie, citons Goldziher, qui a dit notamment : « Le droit islamique porte (…) aussi bien dans sa méthodologie que dans ses dispositions particulières des traces indéniables de l’influence du droit romain. » (Goldziher, Dogme, p. 39).