Les hommes

De Corentin Pabiot
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Avant de parler des quatre écoles de droit sunnites à proprement dit, il convient de connaître l’histoire particulière de ceux qui leur ont donné leurs noms et les faits et les dits qui constituent les vies de ces personnes. En voici un aperçu rapide.

L’imâm Abû Hanîfa

Savant de Kûfa [1], éponyme de l’école hanafite (né à Kûfa en 80 /696 ; mort en 150/ 767). L’imâm Abû Hanîfa – Dieu l’agrée – est, chronologiquement, le premier des quatre fondateurs des écoles de droit sunnites.

Ses origines

Les hagiographes ne sont pas d’accord sur les origines de l’imâm Abû Hanîfa. Pour les uns, sont aïeul paternel, Zûtâ, d’origine perse, aurait été mis en captivité par les musulmans lors de la prise de Kaboul, en Afghanistan. D’abord esclave de la tribu des Banû Tamîm Ibn Tha‘laba, Zûtâ aurait été ensuite affranchi par eux et serait devenu leur client. Pour d’autres, l’aïeul paternel d’Abû Hanîfa serait un certain Nu‘mân ; issu de la noblesse persane, il n’aurait jamais été réduit à l’esclavage. Pour d’autres encore, Zûtâ, l’aïeul d’Abû Hanîfa, serait un arabe de la tribu des Banû Yahyâ Ibn Zayd Ibn Asad ou un des fils de Râshid al-Ansârî ou encore un descendant des Babyloniens. Mais ces deux derniers avis sont récusés par les hagiographes sérieux.

Sa vie

L’imâm Abû Hanîfa est né à Kûfa en l’an 80 de l’Hégire, ville où il passa la majeure partie de sa vie. Son père, Thâbit, aurait été un commerçant aisé et un musulman sincère. On rapporte que, rencontrant ‘Alî Ibn Abî Tâlib, celui-ci aurait invoqué en sa faveur, lui et sa descendance. Intéressé initialement au commerce des soieries, le jeûne Abû Hanîfa fut remarqué par l’imâm Ash-Sha‘bî Ibn Abî Sulaymân qui lui suggéra de côtoyer les docteurs de la Loi de l’époque ; ce qu’il fit. Se distinguant par son intelligence, il apprit le Coran auprès de l’un des sept lecteurs consacrés : l’imâm ‘Âsim – Dieu lui fasse miséricorde. Puis, à l’âge de vingt deux ans, se découvrant un engouement particulier pour la science du droit après avoir étudié à fond la théologie scolastique, il se lança dans l’étude de cette science auprès de l’imâm Hammâd Ibn Abî Sulaymân al-Ash‘arî. Abû Hanîfa étudia le droit auprès de l’imâm Hammâd durant dix huit ans, période au cours de laquelle il côtoya de nombreux autres docteurs, notamment lors de ses pèlerinages répétés à la Mecque. Il est à noter que parmi les hommes de science, l’imâm Abû Hanîfa fréquentait en particulier les Successeurs directs des Compagnons. C’est ainsi qu’il a dit : « J’ai recueilli le fiqh de ‘Umar, ‘Alî, ‘Abd-Allâh Ibn Mas‘ûd et Ibn ‘Abbâs, d’après leurs disciples directs ». Puis à la mort de l’imâm Hammâd, Abû Hanîfa, alors âgé de quarante ans, prit la tête du cercle d’enseignement de son maître et entreprit de délivrer des avis juridiques (fatwas). C’est alors qu’il commença à enseigner les fondements de ce qui deviendrait plus tard l’école hanafite, sous l’impulsion de ses principaux disciples.

Ses maîtres

L’imâm Abû Hanîfa côtoya de nombreux maîtres, parmi lesquels Zayd Ibn ‘Alî Ibn al-Husayn, Ja‘far as-Sâdiq, ‘Abd-Allâh Ibn Hasan Ibn Abî Muhammad an-Nafs az-Zakiyya, ‘Atâ’ Ibn Abî Rabâh et Nâfi‘, le disciple d’Ibn ‘Umar.

Ses disciples

Quant à ses disciples, les plus célèbres d’entre eux sont Abû Yûsuf Ya‘qûb Ibn Ibrâhîm al-Ansârî, Abû ‘Abd-Allâh Muhammad Ibn al-Hasan ash-Shaybânî et Zufar Ibn Hudhayl.

A propos de l’imâm Abû Hanîfa

Dans son Madârik, le cadi ‘Iyâd rapporte : « Al-Layth Ibn Sa‘d rencontra Mâlik alors qu’il sortait d’une réunion avec Abû Hanîfa. Voyant Mâlik essuyer son front ruisselant de sueur, al-Layth lui demanda : « Pourquoi transpires-tu comme cela ? – Je transpire, répondit Mâlik, à cause d’Abû Hanîfa. Sache, frère d’Egypte, que cet homme est un juriste digne de ce nom ». Plus tard, comme al-Layth rencontrait Abû Hanîfa et lui disait : « Que de bien Mâlik dit de toi ! », il répondit : « Et moi je ne connais personne qui ait un esprit aussi vif et aussi perspicace ». L’imâm ash-Shâfi‘î a dit à propos d’Abû Hanîfa : « Que celui qui désire plonger dans un océan de science étudie assidûment [l’héritage scientifique laissé par] Abû Hanîfa et ses disciples ; certes, nous avons tous une dette envers lui en matière de jurisprudence ».

Le Fiqh Al-Akbar

La doctrine théologique de l’imâm Abû Hanîfa s’apparente dans ces grandes lignes à celle développée plus tard par l’imâm Mâturîdî[2], qui fut un de ses francs disciples et qui est considéré à juste titre, lui et l’imâm al-Ash‘arî, comme faisant partie « des gens de la Sunna et du consensus », ou encore, comme les défenseurs de l’orthodoxie sunnite. Disons même qu’en matière de doctrine théologique, hanafisme et mâturidisme en sont venu à être quasiment synonymes. Une des premières professions de foi sunnites qui soit parvenue jusqu’à nous est celle du Fiqh Al-Akbar rédigée par Abû Hanîfa à dessein de se situer clairement par rapport aux sectes hétérodoxes. En voici les points principaux : :Dieu :* Dieu est un, n’a pas de partenaire. Rien ne Lui ressemble. :* Les attributs de Dieu sont réels, mais ils ne sont pas comme les attributs humains. :* Dieu est sans corps, sans substance, sans accidents. :* Dieu crée ex nihilo (en partant de rien). :* Dieu est créateur avant de créer. :* Dieu sera vu (de visu) dans l’au-delà, mais sans termes et sans modes. :* La main, le visage de Dieu sont des attributs réels, comme l’ouïe et la vue. :Le Coran :* Le Coran est la parole de Dieu incréée et éternelle. :Les hommes :* L’acte volontaire de l’homme est créé par Dieu, « acquis » par l’homme. :* Le pécheur reste musulman. :* Le musulman pécheur sera livré au bon vouloir divin dans l’au-delà, si Dieu le veut Il le châtiera, et s’Il veut Il lui fera grâce. :Les prophètes :* Les prophètes son impeccables (incapables de pécher). :* L’intercession du Prophète Muhammad ( صلى الله عليه و سلم )au Jour du jugement est réelle. :La politique :*Le califat d’Abû Bakr, puis de ‘Umar, puis de ‘Uthmân, puis de ‘Alî, par ordre de priorité, est légitime.

La position de l’imâm Abû Hanîfa vis-à-vis des traditions prophétiques

S’il est exact que les quatre imâms orthodoxes n’ont pas tous rapporté autant de traditions les uns que les autres – on dit qu’Abû Hanîfa en aurait transmis dix-sept, Mâlik, trois cents dans son Muwatta’ et Ahmad Ibn Hanbal, 30.000 dans son Musnad –, il est parfaitement erroné de déduire de cela que ceux qui en ont transmis peu en avaient peu en mémoire et négligeaient ce domaine. Et comment pourrait-il en être ainsi alors que la Loi musulmane découle en entier du Coran et de la Sunna ?
Non, si les uns ont transmis moins de traditions que d’autres, c’est manifestement pour éviter d’être critiqués et accusés de laxisme par leurs pareils, et parce que leur jugement personnel les conduisait à laisser de côté de nombreuses traditions ou filières défectueuses.
N’oublions pas que si les gens du Hijâz ont été plus prolixes que les Iraquiens, c’est parce que Médine fut la ville où le Prophète Muhammad –sur lui la grâce et la paix – se réfugia et où ses Compagnons se fixèrent ; tandis que ceux d’entre eux qui passèrent en Irâq étaient préoccupés avant tout par le jihâd.
Quant à L’imâm Abû Hanîfa, le chef de l’école Irâquienne, il est vrai qu’il n’a rapporté que peu de traditions, mais c’est précisément parce qu’il était très strict sur les conditions à remplir pour qu’elles soient déclarées valides, n’hésitant pas à les déclarer faibles si quelque condition de recevabilité venait à manquer ou quelque argument logique venait à les contredire.
Et l’on n’a pas le droit de dire que l’imâm Abû Hanîfa s’est abstenu, de propos délibéré, de rapporter des traditions prophétiques, car comme les autres imâms, il était un grand docteur en traditions, ainsi que le prouve la confiance que mettent en lui les traditionnistes, qui citent ses arguments, à la fois pour et contre.
Ainsi, on rapporte qu’étant interrogé à propos d’Abû Hanîfa, l’illustre traditionniste Yahyâ Ibn Sa‘îd al-Qattân répondit : « Craignant Dieu, il ne fait que prôner le savoir dont le Souverain suprême l’a gratifié. Quand nous approuvons une de ses thèses, nous n’hésitons pas à l’adopter ». De même, on rapporte que quand Shu‘ba Ibn al-Hajjâj (mort en 160 de l’Hégire), traditionniste d’autorité, apprit la mort d’Abû Hanîfa, il dit : « Avec lui, vient de disparaître le fiqh de Kûfa. Dieu le comble, lui et nous, de Sa miséricorde ».

L’imâm Mâlik

Savant de Médine, éponyme de l’école mâlikite (né à Médine en 93/ 712 ; mort en 179/ 795 à Médine également). L’imâm Mâlik – Dieu l’agrée – est, chronologiquement, le deuxième des quatre fondateurs des écoles de droit sunnites.

Ses origines

La généalogie de l’imâm Mâlik est Mâlik Ibn Anas Ibn Mâlik Ibn Abî ‘Âmir, de la tribu yéménite des Asbah. Sa mère, al-‘Âliyya Bint Sharîk, appartenait à la tribu des Azd. Ceci confirme l’origine arabe de l’imâm Mâlik.

Sa vie

L’imâm Mâlik naquit à Médine dans une famille versée dans la science du hadîth. Son aïeul, Mâlik Ibn Abî ‘Âmir, de la génération des tâbi‘ûn, de même que son frère, an-Nadr, et ses oncles paternels, furent des docteurs de la Loi confirmés et des traditionnistes émérites. L’imâm Mâlik commença par apprendre le Coran par cœur, puis il se consacra à la mémorisation du hadîth et des avis juridiques des Compagnons. Ses premiers maîtres en sciences religieuses furent Rabî‘a ar-Ra’y, puis Ibn Hurmuz, dont il fut le disciple durant une dizaine d’années. Il fréquenta également Nâfi‘, le client d’Ibn ‘Umar, ainsi qu’Ibn Shihâb az-Zuhrî, de qui il recueillit le hadîth. Se distinguant à l’âge adulte par sa maîtrise des sciences religieuses et par son aptitude à délivrer des avis juridiques, il fut habilité par ses pairs à fonder un cercle d’étude dans la Mosquée du Prophète – sur lui les grâces et la paix –, cercle qu’il présida ensuite dans sa demeure jusqu’à la fin de sa vie. L’ensemble des biographes situe la mort de l’imâm Mâlik autour de l’an 179 de l’Hégire.

Ses disciples

Parmi les disciples les plus connus de l’imâm Mâlik, citons ‘Abd-Allâh ibn Wahb (125/197), ‘Abd ar-Rahmân Ibn al-Qâsim 128/191), Ashhab Ibn ‘Abd al-‘Azîz al-Qaysî al-‘Âmirî (140/204), Asad Ibn al-Furât Ibn Sinân du Khurâsân (145/213) ou encore ‘Abd al-Malik Ibn al-Mâjishûn.

Le Muwatta’

Œuvre maîtresse de l’imâm Mâlik, le Muwatta’ est un précis conçu comme un manuel commode et consensuel, offrant une sélection d’environ 1900 hadîth embrassant l’ensemble des matières de foi et de loi. Bien que l’ouvrage s’apparente aux recueils de la Tradition, il présente les caractéristiques d’un manuel de méthodologie du droit canonique, d’une part, et de recueil législatif, énonçant des principes applicables en matière civile et pénale, d’autre part. Pour donner un aperçu de la thématique du Muwatta’ : 1088 hadîth qui y sont cités traitent du culte ; 205, du statut personnel ; 257, des transactions ; 85 des peines légales ; 256 de domaines divers.

A propos de l’imâm Mâlik

L’imâm ash-Shâfi‘î a dit à propos de Mâlik : « Quels hommes que Mâlik et Ibn ‘Uyayna ! Sans eux, la science du Hijâz aurait disparu en entier ». Il a dit aussi : « Mâlik est mon maître ; tout mon savoir, je le tiens de lui. Il est le firmament des hommes de science et nul ne m’inspire confiance autant que lui ».
L’imâm Ahmad a dit au sujet de Mâlik : « Mâlik est un maître parmi les maîtres dans la science (sacrée) ; il est un imâm dans le hadîth et dans le fiqh. Il s’est inspiré de l’exemple de ses prédécesseurs avec intelligence et finesse. »

L’imâm ash-Shâfi‘î

Eponyme de l’école shâfi‘ite (né à Ghazza en 150/767 ; mort en 204/ 820 à Fustât). L’imâm ash-Shâfi‘î – Dieu l’agrée – est, chronologiquement, le troisième des quatre fondateurs des écoles de droit sunnites.

Sa généalogie

La généalogie de l’imâm ash-Shâfi‘î est Abû ‘Abd-Allâh Muhammad Ibn Idrîs Ibn al-‘Abbâs Ibn ‘Uthmân Ibn Shâfi‘ Ibn as-Sâ’ib Ibn ‘Ubayd Ibn ‘Abd al-Yazîd Ibn Hâshim Ibn al-Muttalib Ibn ‘Abd Manâf Ibn Qusay al-Qurashî. Qurayshite[3]par son père, il descend de la même famille que l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix.
A l’âge de deux ans, l’imâm ash-Shâfi‘î, alors orphelin de père, est emmené par sa mère à la Mecque, chez des parents. Vivant modestement à Shi‘b Ibn al-Khayf, le jeune Muhammad Ibn Idrîs reçoit une éducation propre à son statut de membre de la noblesse Qurayshite : poésie et archerie. Ses longs séjours au sein de la tribu des Hudhaylites, tribu de l’Arabie du Nord, réputée pour la beauté de son parler, lui permettent d’acquérir une très grande maîtrise de la langue et une très belle qualité d’écriture. Il avait, dit-on également, des connaissances en médecine et en physiognomonie (firâsa).
L’enseignement reçu par l’imâm ash-Shâfi‘î se répartit, spatialement, sur deux grandes unités : le Hijâz et l’Irâq.
A la Mecque, il rencontre Muslim Ibn Farwa Abû Khâlid az-Zanjî (m. 179/795), son maître en fiqh avant sa rencontre avec Mâlik, ainsi que Sufyân Ibn ‘Uyayna (m. 198/813) qui lui donna l’autorisation de délivrer des avis juridiques alors qu’il avait à peine quinze ans. A Médine, il fait la connaissance de ‘Abd al-‘Azîz Ibn Muhammad ad-Darâwardî (m. 187/802), qui devient un de ses maîtres en fiqh et en sciences du hadîth, mais il découvre surtout l’imâm Mâlik Ibn Anas, dont il suit l’enseignement pendant une quinzaine d’années.
En Irâq, il approfondit ses connaissances en fiqh auprès de Muhammad Ibn al-Hasan ash-Shaybânî (m. 189/805), Abû Yûsuf Ya‘qûb Ibn Ibrâhîm (m. 182/797), les deux grands disciples de Abû Hanîfa, ainsi que Abû Thawr et d’autres encore. C’est durant son séjour en Irâq que l’imâm ash-Shâfi‘î rencontra l’imâm Ahmad Ibn Hanbal.

Les disciples de l’imâm ash-Shâfi‘î

On distingue trois grands transmetteurs égyptiens de la doctrine juridique de l’imâm ash-Shâfi‘î : Abû Ya‘qûb Yûsuf Al-Buwaytî (m. 231/845), auteur d’un précis de l’œuvre de son maître ; Abû Ibrâhîm Ismâ‘îl al-Muzanî (m. 264/877), également auteur d’un précis ; Abû Muhammad ar-Rabî‘ al-Murâdî, lui aussi auteur d’un précis.
Quant à l’Irak, trois grands transmetteurs jalonnent la diffusion de la doctrine juridique de l’imâm ash-Shâfi‘î en cet endroit du monde : Abû ‘Alî al-Hasan az-Za‘farânî (m. 260/874) ; al-Husayn Ibn ‘Alî al-Karâbîsî (m. 245/859 ou 248/862) ; Abu-l-Qâsim ‘Uthmân al-Anmatî (m. 288/901).

La Risâla

Parmi les quelques soixante-dix-huit ouvrages composés par l’imâm ash-Shâfi‘î, La Risâla fî usûl al-fiqh occupe une place centrale. Premier traité sur les fondements du droit musulman dans l’histoire de l’Islâm, la Risâla élabore avant tout les usûl, « les racines », par lesquelles on aboutit au fiqh à proprement dit.
Ibn Khaldûn a dit dans sa « Muqaddima » : « Le premier auteur sur les fondements du droit fut ash-Shâfi‘î, qui dicta, là-dessus, sa fameuse Risâla. Il y traite des prescriptions et des interdits, de la syntaxe et du style, des traditions, de l’abrogation et du principe de l’analogie par rapport au motif légal. Plus tard, les juristes hanafites en firent autant. »
C’est aussi un ouvrage fondateur en matière de science des traditions. L’imâm ash-Shâfi‘î y fait en outre une critique radicale du conformisme juridique qui vise, d’une part à discréditer les traditions locales vivantes comme source de droit religieux, et, d’autre part, à ce que les doctrines des imâms ne puissent être invoquées en matière légale sans autre preuve à l’appui que l’autorité dont ces grands maîtres avaient été investis. Il y systématise les principes généraux de la Loi révélée et détermine le cadre dans et par lequel les prescriptions juridiques particulières doivent être formulées.
Fakhr ad-Dîn ar-Râzî a dit à ce sujet : « Avant ash-Shâfi‘î, les gens étaient partagés en deux groupes : les partisans du hadîth et les partisans du raisonnement personnel. Les premiers avaient bien une grande connaissance des hadîth du Prophète – sur lui les grâces et la paix –, mais il étaient incapables de raisonner et de soutenir des controverses ; chaque fois qu’un adversaire leur posait une question ou leur exposait un problème, ils étaient incapables d’y répondre et restaient cois. De même, les seconds étaient versés dans le raisonnement et la controverse, mais leur connaissance des hadîth et de la Sunna étaient insuffisante. Quant à ash-Shâfi‘î – Dieu l’agrée – il était savant aussi bien dans la Sunna du Prophète – sur lui les grâces et la paix – et dans ses règles qu’en matière de controverse et de raisonnement. […] Il prit sur lui de faire triompher les hadîth de l’Envoyé de Dieu – sur lui les grâces et la paix – et il n’est pas de question posée, de problème exposé ni d’ambiguïté soulevée [en ce domaine] sans qu’il y répondît ».

A propos de l’imâm ash-Shâfi‘î

‘Abd-Allâh, un des fils de l’imâm Ahmad, raconte : « Comme je demandai un jour à mon père : « Je t’entends souvent demander la grâce de Dieu pour ash-Shâfi‘î ; quel genre d’homme était-il donc ? », il me répondit : « Ô mon fils, l’imâm ash-Shâfi‘î – Dieu ait son âme – était ce que le soleil est pour le monde et ce que la santé est pour les hommes. Dis-moi, ces deux choses peuvent-elles être remplacées ? ».

L’imâm Ahmad

Eponyme de l’école hanbalite (né à Baghdâd en 164/780 ; mort à Baghdâd en 241/855), l’imâm Ahmad – Dieu l’agrée – est chronologiquement le quatrième des fondateurs des écoles de droit sunnites.

Sa vie

La généalogie de l’imâm Ahmad est Abû ‘Abd-Allâh Ahmad Ibn Muhammad Ibn Hanbal Ibn Hilâl, de la tribu arabe des Shaybân, la branche la plus noble des Rabî‘a. Sa mère, domiciliée à Marû, dans le Khurâsân, émigra à Baghdâd alors qu’elle était enceinte de lui. C’est dans cette métropole que le jeûne Ahmad naquit et débuta l’étude des sciences religieuses auprès d’imâms illustres tels que Abû Yûsuf, Hushaym Ibn Bashîr al-Wâsitî ou encore ‘Alî Ibn Hashîm Ibn Barîd. Apprenant d’abord le Coran et la rhétorique arabe, l’imâm Ahmad choisit de se consacrer à la mémorisation et à l’étude du hadîth et des propos des Compagnons à partir de 179 et rencontra à cette fin tous les traditionnistes de Baghdâd de l’époque. Puis en 187, il entreprit de voyager à travers le monde à la recherche de la tradition du Prophète – sur lui les grâces et la paix – et des hommes qui l’avaient recueillie. Entre autres hommes de science qu’il rencontra au cours de ses voyages, citons l’imâm ash-Shâfi‘î, Sufyân Ibn ‘Uyayna ou encore Ismâ‘îl Ibn ‘Aliyya. Ce n’est qu’à l’âge de quarante ans que l’imâm Ahmad, de retour à Baghdâd, commença à rapporter le hadîth et à émettre des avis juridiques (fatwa).

Les disciples de l’imâm Ahmad

Parmi les disciples de l’imâm Ahmad les plus connus, citons ses deux fils Sâlih (mort en 266) et ‘Abd-Allâh (mort en 290), Ahmad Ibn Muhammad Ibn Hâni’ Abû Bakr al-Athram (mort en 273), ‘Abd al-Mâlik Ibn ‘Abd al-Hamîd Mahrân al-Maymûnî (mort en 274), Ahmad Ibn Muhammad Ibn al-Hajjâj Abû Bakr al-Marûzî (mort en 275), Harb Ibn Ismâ‘îl al-Handhalî al-Karmânî (mort en 280) ou encore Ibrâhîm Ibn Ishâq al-Harbî (mort en 285). Cependant, la liste des disciples de l’imâm Ahmad serait incomplète si l’on n’y ajoutait pas le nom de l’illustre Ahmad Ibn Muhammad Ibn Hârûn Abû Bakr al-Khallâl (mort en 311), qui, bien qu’il ait recueilli le fiqh de l’imâm Ahmad de la bouche de ses disciples, est considéré comme le grand compilateur et transmetteur de la doctrine juridique de l’imâm, et, par là même, comme celui qui a posé les bases de l’école hanbalite.

Le Musnad de l’imâm Ahmad

L’étude des isnâd, des chaînes de transmetteurs, commanda l’effort des ahl al-hadîth qui entreprirent de réunir en corpus les principales traditions prophétiques. Ils le firent selon deux méthodes. La plus ancienne se suffit de grouper les hadîth selon les chaînes de transmetteurs, et à reproduire intégralement ces dernières. On appela ces recueils musnad, entendons « ouvrage fondé sur l’isnâd ininterrompu ». Le plus célèbre Musnad est celui de l’imâm Ahmad Ibn Hanbal.
Ce corpus demeure l’un des usuels de référence en matière de tradition prophétique, même s’il est en marge des recensions canoniques que sont les Sahîh de Bukhârî et Muslim et les Sunan de Abû Dâwûd, at-Tirmidhî, an-Nasâ’î et Ibn Mâjah. Le Musnad de l’imâm Ahmad serait un choix de 31.000 traditions prophétiques tiré d’une masse de 750.000 traditions. Ce qui laisse entendre que toutes les traditions citées dans le Musnad peuvent servir d’argument légal, malgré l’avis contraire d’Ibn Salâh dans son ‘Ulûm al-Hadîth.

A propos de l’imâm Ahmad

On rapporte que l’imâm ash-Shâfi‘î, quand il parlait de l’imâm Ahmad, ne l’appelait pas par son nom, mais disait en signe de respect : « Notre noble compagnon a dit » ou « Notre noble compagnon nous a informé ».
‘Abd ar-Rahmân Ibn Mahdî a dit à propos de l’imâm Ahmad : « Chaque fois que je regardais Ahmad ibn Hanbal, il me rappelait Sufyân ath-Thawrî. »

  1. Koufa ou Kûfa (الكوفة [al-kūfa]) est une ville d'Irak, environ 170 km au sud de Bagdad, et à 10 km au Nord-est de Nadjaf. Elle est située sur les rives du fleuve Euphrate. La population en 2003 était estimée à 110 000 habitants. C'est la deuxième ville de la province de Nadjaf.
  2. Abû Mansûr al-Mâturîdî est mort à Samarqand en 333/944. Abû al-Hasan al-Ash‘arî est né en 260/873-74, à Basra.
  3. On rapporte que l’Envoyé de Dieu –sur lui les grâces et la paix – a dit : « Les imâms sont de Quraysh ».