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De Corentin Pabiot
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===Définition du fiqh===
Avant de parler des quatre écoles de droit sunnites à proprement dit, il convient de connaître l’histoire particulière de ceux qui leur ont donné leurs noms et les faits et les dits qui constituent les vies de ces personnes. En voici un aperçu rapide.
A l’origine, le mot fiqh signifie le fait de saisir le sens d’une parole quelconque. Par la suite, on a appelé fiqh le fait de comprendre le sens du Coran et de la Sunna quant aux statuts légaux (ahkâm) dont doivent être affectés les multiples cas juridiques susceptibles de se produire pour tout ''« assujetti »'' à la Loi révélée, à savoir tout musulman pubère et sensé ; autrement dit quant à savoir si tel acte donné, au regard de la Loi révélée, doit être considéré comme interdit ou réprouvable ou indifférent ou recommandé ou obligatoire.<br /> C’est l’ensemble des statuts juridiques tirés de ces sources, le Coran et la Sunna, qui constitue le fiqh, ou encore le droit musulman. Ce ''« droit »'' traite aussi bien des obligations cultuelles (‘îbâdât) que des relations sociales (mu’âmalât), que du domaine pénal ou encore du statut personnel.  
== L’imâm Abû Hanîfa ==
===Genèse du fiqh===  
Savant de Kûfa <ref>Koufa ou Kûfa (الكوفة [al-kūfa]) est une ville d'Irak, environ 170 km au sud de Bagdad, et à 10 km au Nord-est de Nadjaf. Elle est située sur les rives du fleuve Euphrate. La population en 2003 était estimée à 110 000 habitants. C'est la deuxième ville de la province de Nadjaf.</ref>, éponyme de l’école hanafite (né à Kûfa en 80 /696 ; mort en 150/ 767). L’imâm Abû Hanîfa – Dieu l’agrée – est, chronologiquement, le premier des quatre fondateurs des écoles de droit sunnites.  
A l’époque de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – la Loi divine procédait directement de lui. Il recevait les révélations coraniques et les expliquait sur le champ, par ses paroles, par ses actes ou par ses approbations tacites. Aucune cause de désaccord entre les musulmans ne pouvait surgir à cette époque puisque le Prophète – sur lui la grâce et la paix – était la référence absolue ; nul n’était besoin de recourir aux textes scripturaires, Coran et Sunna, à la spéculation par voie interprétative ou au raisonnement par analogie (qiyâs).<br /><br /> Mais après la mort de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix –, l’assimilation de la Loi divine par révélation ne fut plus possible. Le Coran se conserva alors par des chaînes de garants (de rapporteurs), ininterrompues, multiples et convergentes (tawâtur). Quant à la Sunna, les Compagnons de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – convinrent tous que c’était pour nous, un devoir d’agir en accord avec ce qui, des actes ou des paroles de Muhammad, nous était parvenu de façon authentique et sûre.<br /><br /> Dieu a dit dans le Coran : <blockquote>Vous qui croyez, obéissez à Dieu, obéissez à l’Envoyé et aux responsables d’entre vous. Si vous êtes en désaccord sur une affaire, déférez-la à Dieu et à l’Envoyé, pour autant que vous croyiez en Dieu et au Jour dernier. Cela sera meilleur pour vous, et de plus belle incidence <br /> ''s. 4, v. 59''</blockquote> c’est-à-dire : si vous êtes en désaccord sur quelque chose, déférez-le à Dieu et à Son Envoyé tant qu’il vit parmi vous ; s’il meurt – sur lui les grâces et la paix –, alors référez-vous au Coran et à sa Sunna après lui.<br /><br /> Al-Baghawî rapporte d’après Mu‘âdh : ''« Lorsque l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – voulut envoyer Mu‘âdh au Yémen, il lui demanda : <br /> – Comment trancheras-tu les différends portés devant toi ?<br /> – Je rendrai mon jugement selon le Livre de Dieu, répondit-il. <br /> – Et si tu ne trouves pas la solution dans le Livre de Dieu ? <br /> – Je la chercherai dans la Sunna de Son Prophète, reprit-il. <br /> – Et si tu ne la trouves pas dans la Sunna ? <br /> – Je mettrai à profit mon opinion, et n’épargnerai pas mes efforts pour trouver la solution »''. Puis Mu‘âdh relate : ''« L’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix –, d’un geste de satisfaction, me frappa la poitrine, disant : Louange à Dieu qui a permis au messager de son Prophète de l’agréer »''.<br /><br /> Al-Hâkim rapporte d’après Abû Hurayra que l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – a dit : ''« Après ces deux choses que j’ai laissées parmi vous, vous ne vous égarerez plus : Le Livre de Dieu et ma Sunna »''.<br /><br /> A la suite de cela, le consensus communautaire (ijmâ‘) occupa une position adjacente à celle du Coran et de la Sunna. En effet, les Compagnons du Prophète – sur lui la grâce et la paix – tombèrent d’accord sur le fait de désavouer ceux dont les avis contredisaient leur consensus, non qu’ils l’aient fait sans raison sérieuse, car l’accord des gens comme eux ne pouvait avoir lieu sans référence solide au Coran et à la Sunna. Dieu a dit dans le Coran : <blockquote>Qui rompt avec l’Envoyé après que la guidance se soit à lui manifestée, qui adopte un chemin autre que celui des croyants, de lui Nous Nous détournons autant qu’il se détourne, et le faisons brûler dans la Géhenne. – Exécrable destination !</blockquote> s. 4, v. 115. <br /> A quoi il faut ajouter l’infaillibilité de la Communauté musulmane, laquelle est chose prouvée. Ibn Mâjah rapporte dans ses Sunan le dire du Prophète sur lui la grâce et la paix – suivant : ''« Ma Communauté ne se réunira pas sur une erreur »''. C’est ainsi que le consensus communautaire devint une autre source du droit musulman.<br /> Si l’on examine les procédés par lesquels les Compagnons et les premiers musulmans opéraient pour déduire des lois du Coran et de la Sunna, on constate qu’ils rapprochaient les cas semblables et tiraient leurs conclusions par analogie, soit pas accord unanime, soit par concession des uns aux autres.<br /> Après la mort de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – une multitude de cas se présentèrent, qui n’étaient pas prévus par les textes sacrés. Il fallut donc comparer et rapprocher ces cas nouveaux de ceux qui se trouvaient dans les textes. De la sorte, la comparaison de deux cas semblables étant justifiée, on pouvait s’assurer que tous deux étaient régis par la même loi divine. <br /><br /> Dans son al-Milal wa an-Nihal, Muhammad Ibn ‘Abd Al-Karîm Ash-Shahrastânî a dit à ce sujet : ''« Nous savons que les évènements particuliers et les précédents juridiques, aussi bien en matière d’actes cultuels que de rapports sociaux, sont trop nombreux pour être énumérables. Et nous savons aussi de science certaine qu’il ne saurait y avoir autant de textes (du Coran et de la Sunna) qu’il y a d’évènements particuliers. C’est même là une hypothèse inconcevable que des textes, qui sont en nombre nécessairement finis, puissent servir jusqu’au bout à des évènements dont la nature est d’être infinie. D’où il résulte avec certitude que la recherche juridique et le raisonnement analogique sont indispensables, et qu’à tout évènement particulier doit correspondre, par la force des choses, une recherche de cette nature »''.<br /><br /> Ainsi se forma une quatrième source de droit : le raisonnement par analogie, sur lequel les premiers musulmans se mirent d’accord. Telles sont, selon la majorité des docteurs de la Loi sunnites, les quatre sources du droit musulman. D’autres ont ajouté des sources supplémentaires dont nous parlerons en leur lieu.<br /><br /> En gros, on peut donc dire qu’à cette époque, le fiqh s’est constitué par transmission ininterrompue, multiple et concordante, mais que, dès que surgissait un cas susceptible de constituer un précédent juridique en matière de licite ou d’illicite, on recourait alors à la recherche juridique, laquelle avait elle-même recours à plusieurs sources. La première est le Coran, auquel il convient de s’en tenir s’il offre un sens évident ou un texte péremptoire. On considère alors que le cas susceptible de créer un précédent est implicitement contenu dans l’un ou l’autre de ces deux moyens d’argumentation juridique. Si tel n’est pas le cas, le second recours est celui de la Sunna, où l’on s’applique à chercher une anecdote qui puisse avoir un effet juridique. En cas de succès, on s’y tient sans chercher plus loin. En l’absence de cette anecdote, il ne reste plus qu’un dernier recours, qui est la recherche juridique libre. <br /><br /> Ainsi donc, déjà du temps des Compagnons, les sources du droit était au nombre de quatre, Coran, Sunna, consensus communautaire et raisonnement analogique.
=== Ses origines ===
===La constitution des écoles de fiqh===
Les hagiographes ne sont pas d’accord sur les origines de l’imâm Abû Hanîfa. Pour les uns, sont aïeul paternel, Zûtâ, d’origine perse, aurait été mis en captivité par les musulmans lors de la prise de Kaboul, en Afghanistan. D’abord esclave de la tribu des Banû Tamîm Ibn Tha‘laba, Zûtâ aurait été ensuite affranchi par eux et serait devenu leur client. Pour d’autres, l’aïeul paternel d’Abû Hanîfa serait un certain Nu‘mân ; issu de la noblesse persane, il n’aurait jamais été réduit à l’esclavage. Pour d’autres encore, Zûtâ, l’aïeul d’Abû Hanîfa, serait un arabe de la tribu des Banû Yahyâ Ibn Zayd Ibn Asad ou un des fils de Râshid al-Ansârî ou encore un descendant des Babyloniens. Mais ces deux derniers avis sont récusés par les hagiographes sérieux.  
Dans les premières décades de l’Islâm, la proximité du temps de l’Envoyé de Dieu – sur lui les grâces et la paix – et des Compagnons permettait aux premiers juristes de l’Islâm de résoudre facilement les cas qui se présentaient à eux en recourant directement au Coran, à la Sunna et à la pratique des Compagnons. Mais à mesure que la conquête s’étendait, de nouveaux peuples, aux éléments divers, aux institutions et aux lois spéciales, ne laissèrent pas de faire surgir de nouveaux cas dont la solution directe ne se trouvait pas dans le Coran et la Sunna. Force était donc d’établir des comparaisons, de recourir au raisonnement analogique, d’émettre un jugement personnel de façon à répondre à ces nouveaux cas non mentionnés explicitement dans les textes. Entre autres Compagnons qui, très tôt, prirent parti pour un recours plus systématique au raisonnement analogique, citons les quatre califes Abû Bakr, ‘Umar ibn Al-Khattâb, ‘Uthmân ibn ‘Affân et ‘Alî ibn Abî Tâlib, mais aussi ‘Abd-Allâh ibn Mas‘ûd, Zayd ibn Thâbit, Ubayy ibn Ka‘b ou encore Abû Mûsâ al-Ash‘arî… <br /> Cette tendance se manifesta surtout en ‘Irâq, sous l’impulsion notoire de ‘Abd-Allâh ibn Mas‘ûd, pays où, du fait des antécédents culturels et de la variété de la population, les nouveaux cas posés étaient plus fréquents qu’à Médine et au Hijâz. <br /> Les juristes musulmans qui s’adonnèrent à la pratique de l’interprétation juridique se partagèrent finalement sur deux tendances : celles des partisans du hadîth, ahl al-hadîth, et celle des partisans du jugement personnel, ahl ar-ra’y. <br /> Les premiers, soit les partisans du hadîth, furent généralement originaires du Hijâz. On leur donne cette dénomination en raison du soin qu’ils mirent à collecter les traditions prophétiques et à transmettre les dires des Compagnons. Se réclamant à juste titre de l’enseignement de Compagnons comme ‘Abd-Allâh ibn ‘Umar<ref>L’imâm Mâlik ibn Anas rapporte d’après Nâfi‘ que ‘Abd-Allâh ibn ‘Umar a dit : ''« La science se résume à trois choses : le Livre de Dieu parlant, la Sunna passée et (le fait de dire) je ne sais pas »''</ref>, ils faisaient de ces textes le fondement des prescriptions juridiques propres à leur école et ils ne recouraient que rarement au raisonnement analogique – l’implicite comme l’explicite –, et cela dans les cas où ils n’avaient à leur disposition ni tradition ni aucune espèce de témoignage écrit. <br /> Quant aux partisans du jugement personnel, ils furent pour la plupart originaires de l’Irâq et disciples de l’imâm Abû Hanîfa an-Nu‘mân Ibn Thâbit, lequel tenait son fiqh des Successeurs directs des Compagnons<ref>On rapporte qu’Abû Hanîfa a dit : ''« J’ai recueilli le fiqh de ‘Umar, ‘Alî, ‘Abd-Allâh Ibn Mas‘ûd et Ibn ‘Abbâs, d’après leurs disciples directs »''.</ref>. <br /> Ce furent Muhammad Ibn al-Hasan ash-Shaybânî, le cadi Abû Yûsuf Ya‘qûb Ibn Ibrâhîm al-Ansârî, Zufar Ibn al-Hudhayl, al-Hasan Ibn Ziyâd al-Lu’lu’î, Ibn Samâ‘a, Abû Mutî‘ al-Balkhî, Bishr al-Mârisî.<br /> On les appela partisans du jugement personnel parce qu’ils apportèrent le plus grand soin à fixer les rapports du raisonnement analogique avec les sciences religieuses, à extraire par mode d’induction les idées générales des textes, pour conférer ensuite à ces mêmes idées une valeur normative par rapport à la pratique juridique.<br /> C’est au cours des deuxième et troisième siècles que le droit musulman se constitua en écoles clairement constituées. Ce fut le résultat d’une élaboration juridique progressive. Il faut attendre la fin du premier siècle pour rencontrer des spécialistes vraiment connus en jurisprudence religieuse, tel Ibrâhîm an-Nakha‘î, Ibn Abî Shibrima, ‘Uthmân al-Battî et autres.  
=== Sa vie ===
===Genèse de la science des sources du droit musulman===
L’imâm Abû Hanîfa est né à Kûfa en l’an 80 de l’Hégire, ville où il passa la majeure partie de sa vie. Son père, Thâbit, aurait été un commerçant aisé et un musulman sincère. On rapporte que, rencontrant ‘Alî Ibn Abî Tâlib, celui-ci aurait invoqué en sa faveur, lui et sa descendance. Intéressé initialement au commerce des soieries, le jeûne Abû Hanîfa fut remarqué par l’imâm Ash-Sha‘bî Ibn Abî Sulaymân qui lui suggéra de côtoyer les docteurs de la Loi de l’époque ; ce qu’il fit. Se distinguant par son intelligence, il apprit le Coran auprès de l’un des sept lecteurs consacrés : l’imâm ‘Âsim – Dieu lui fasse miséricorde. Puis, à l’âge de vingt deux ans, se découvrant un engouement particulier pour la science du droit après avoir étudié à fond la théologie scolastique, il se lança dans l’étude de cette science auprès de l’imâm Hammâd Ibn Abî Sulaymân al-Ash‘arî. Abû Hanîfa étudia le droit auprès de l’imâm Hammâd durant dix huit ans, période au cours de laquelle il côtoya de nombreux autres docteurs, notamment lors de ses pèlerinages répétés à la Mecque. Il est à noter que parmi les hommes de science, l’imâm Abû Hanîfa fréquentait en particulier les Successeurs directs des Compagnons. C’est ainsi qu’il a dit : « J’ai recueilli le fiqh de ‘Umar, ‘Alî, ‘Abd-Allâh Ibn Mas‘ûd et Ibn ‘Abbâs, d’après leurs disciples directs ». Puis à la mort de l’imâm Hammâd, Abû Hanîfa, alors âgé de quarante ans, prit la tête du cercle d’enseignement de son maître et entreprit de délivrer des avis juridiques (fatwas). C’est alors qu’il commença à enseigner les fondements de ce qui deviendrait plus tard l’école hanafite, sous l’impulsion de ses principaux disciples.  
La science des ''« racines »'', ou sources du droit musulman, est d’origine tardive en Islâm. La raison en est que les premiers musulmans avaient une pratique de la langue arabe qui leur suffisait pour tirer le sens des mots issus du Coran et de la Sunna (sachant que c’est du sens des mots qu’on tient la plupart des règles à observer pour tirer des statuts légaux des cas particuliers). D’autre part, ils n’avaient pas besoin d’examiner les chaînes de transmission des traditions prophétiques (comme ce sera le cas plus tard), puisqu’ils étaient contemporains des transmetteurs, qu’ils connaissaient personnellement.<br /> Mais ces premiers musulmans moururent et, avec eux, la première génération de l’Islâm ; toutes les sciences devinrent alors des techniques. On ne parla plus alors de lecteurs du Coran pour désigner les érudits mais de juristes et de savants. Ces juristes durent apprendre les règles et les principes de base, pour pouvoir tirer les lois des textes probants.<br /> C’est ainsi qu’ils mirent au point, par écrit, une branche particulière, à laquelle ils donnèrent le nom des sources du droit, usûl al-fiqh. Ainsi, les docteurs musulmans, comparant le droit à un arbre dont les branches puisent la vie dans quelques racines puissantes, divisèrent la science du droit en deux parties nettement distinctes : d’une part, la science ''« des racines »'' (usûl) qui fait connaître la méthode suivant laquelle le droit s’élabore, les principes directeurs de ce droit ; et d’autre part, la science ''« des branches »'' (furû’), qui comporte un simple exposé du droit pratique, élaboré suivant la méthode et basé sur ces principes, et qu’on appelle fiqh.<br /> Le premier auteur sur ce sujet fut l’imâm Ash-Shâfi‘î, qui dicta, là-dessus, sa fameuse Risâla.<br /> Fakhr ad-Dîn ar-Râzî, parlant de l’apport de l’imâm ash-Shâfi‘î en ce domaine, a dit : ''« Certes, avant l’imâm ash-Shâfi‘î, les musulmans discutaient des questions ayant trait aux sources du droit : ils se démontraient et se faisaient des objections. Mais ils ne disposaient pas d’un code global auquel se référer pour connaître les preuves de la Loi révélée, et déterminer les modalités de leur confrontation et leur prépondérance. L’imâm ash-Shâfi‘î a élaboré les principes du droit. Il a élaboré un code global auquel se référer dans la connaissance des degrés des preuves de la Loi révélée. Il est établi que l’imâm ash-Shâfi‘î est à l’étude du droit ce qu’Aristote fut à l’étude de la logique »''.<br /> Plus tard, les juristes hanafites en firent autant. Ils discutèrent et vérifièrent à fond les règles de base. C’est ainsi que la science des sources du droit s’est perfectionnée, que les problèmes ont été présentés clairement et que les règles de base ont été posées.<br />
=== Ses maîtres ===
====Le cadre politique====  
L’imâm Abû Hanîfa côtoya de nombreux maîtres, parmi lesquels Zayd Ibn ‘Alî Ibn al-Husayn, Ja‘far as-Sâdiq, ‘Abd-Allâh Ibn Hasan Ibn Abî Muhammad an-Nafs az-Zakiyya, ‘Atâ’ Ibn Abî Rabâh et Nâfi‘, le disciple d’Ibn ‘Umar.  
Avec l’avènement des ‘Abbâsides <ref>Descendants d’Al-‘Abbâs, un oncle du Prophète Muhammad – sur lui la grâce et la paix –, qui prirent la tête du califat de 750 jusqu’en 945. </ref>, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour la jurisprudence islamique. Les circonstances politiques ont eu une influence décisive dans son élaboration.<br /> En effet, les ‘Abbâsides entendirent appliquer rigoureusement la Loi révélée à la vie quotidienne, s’en inspirer dans toutes leurs décisions : aux juristes de leur fournir des recueils de textes, de les codifier. C’est de cette époque que date les premières codifications législatives et que s’élaborent, autour de quelques imâms, les principales écoles de droit.<br /> Outre les quatre écoles que nous connaissons aujourd’hui, il y en avait de nombreuses autres à l’époque, qui étaient plus ou moins étendues et qui par la suite disparurent, soit à cause de l’absence de personnalités vigoureuses pour les défendre, soit par suite de principes trop rigoureux, comme l’école dhâhirite qui refusait, globalement, de recourir à l’analogie et s’en tenait trop rigidement à la littéralité des textes<ref>Les chefs de l’école dhâhirite étaient Dâwûd Ibn ‘Alî, son fils et ses disciples, dont le fameux Ibn Hazm de Cordoue (né en 994, mort en 1063). Pour les dhâhirites, les uniques sources de la Loi sont les textes et le consensus communautaire. A leurs yeux, l’analogie évidente (jalî) et la causalité (‘illa) suggérées par les textes sont contenues dans les textes eux-mêmes, puisqu’un texte qui énonce un motif permet de juger dans tous les cas semblables. Ils répètent à ce propos, le dicton bien connu comme quoi : ''« Ce fut Satan qui, le premier, chercha des analogies »''. Ils n’ont manifestement pas pris garde au fait que la recherche des prescriptions de la Loi ne peut pas être une démarche étrangère à cette même Loi. Au surplus, jamais Loi révélée ne reçut sa forme définitive sans faire une place, à ses côtés, à la notion de recherche juridique. La raison en est qu’il est indispensable à son expansion dans le monde d’admettre que la recherche juridique doit être prise en considération. De plus, nous avons sous les yeux la façon dont les Compagnons de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix – ont pratiqué l’analogie, notamment en ce qui concerne le droit successoral. C’est ainsi, par exemple, qu’ils ont donnés au frère du défunt les mêmes privilèges qu’à l’aïeul. Ces faits sont trop connus pour pouvoir échapper à tout observateur impartial de la biographie des Compagnons.</ref>. Dans son ''« Al-Muqaddima »'', Ibn Khaldûn (né en 1332, mort en 1406) a dit à ce propos : ''« L’école dhâhirite a disparu aujourd’hui avec ses docteurs, désapprouvée par la grande majorité des musulmans. Elle ne survit plus que dans l’éternité des livres. Certes, il arrive que des gens désoeuvrés s’attachent encore à cette école et à ses ouvrages pour en pénétrer le système, mais ils perdent leurs temps et se heurtent à l’opposition et la désapprobation de la grande majorité orthodoxe. Celle-ci voit en eux des innovateurs qui s’instruisent dans des livres dont aucun maître n’a la clef »''.<br /> Parmi les autres imams d’écoles, on cite : al-Awzâ‘î (mort en 157 H.), Sufyân ath-Thawrî (mort en 161 H.), al-Layth Ibn Sa‘d (mort en 175 H.), Sufyân Ibn ‘Uyayna, Ibn Jarîr at-Tabarî (mort en 310 H.) etc…
=== Ses disciples ===
===Les législations étrangères ont-elles réagit sur le droit musulman ?===
Quant à ses disciples, les plus célèbres d’entre eux sont Abû Yûsuf Ya‘qûb Ibn Ibrâhîm al-Ansârî, Abû ‘Abd-Allâh Muhammad Ibn al-Hasan ash-Shaybânî et Zufar Ibn Hudhayl.  
Le fiqh est une discipline spécifiquement islamique. Certes, un des buts des docteurs de la Loi musulmane fut d’appliquer les principes du Coran et de la Sunna aux cas nouveaux que pouvaient susciter la vie quotidienne. Il en résulta que des influences locales vinrent interférer très tôt, et que leur importance ne cessa de croître à mesure que l’Islâm se répandit en des terres déjà pourvues d’une solide structure juridique, tels les Empires byzantin et sâsânide. Aussi bien, avant de se diversifier en écoles de droit, le fiqh se diversifia selon les régions : Médine, ‘Irâq, et plus tard l’Egypte… Mais vouloir juger du fiqh par la seule étude de cette adaptation aux coutumes juridiques préexistantes, comme l’on fait certains orientalistes serait n’en point saisir l’esprit le plus profond<ref>Entre autres orientalistes qui ont emprunté cette voie, citons Goldziher, qui a dit notamment : ''« Le droit islamique porte (…) aussi bien dans sa méthodologie que dans ses dispositions particulières des traces indéniables de l’influence du droit romain. »'' (Goldziher, Dogme, p. 39).</ref>. C’est en fonction d’abord du Coran et de la Sunna qu’il se situe, et non en fonction de sources extra-islamiques.<br /> Ainsi, le fiqh n’est-il point quelque chose de ''« surajouté »'' à la doctrine islamique, quelque chose qui serait venu s’y adjoindre après coup et du dehors, mais il en est au contraire une partie intégrante, puisque, sans lui, elle serait manifestement incomplète. La supposition toute gratuite d’une origine étrangère, byzantine ou persane, est d’ailleurs contredite formellement par le fait que les moyens d’expression propres au fiqh sont étroitement liés à la constitution même de la langue arabe. Et s’il y a incontestablement des similitudes avec les autres droits qui existent ailleurs, celles-ci s’expliquent tout naturellement et sans qu’il y ait besoin de recourir à des ''« emprunts »'' hypothétiques, car, le besoin de règles régissant les rapports humains étant un dans toutes les sociétés, tous les droits sont nécessairement identiques en leur essence quelle que soit la diversité des formes dont elles se revêtent. <references />
=== A propos de l’imâm Abû Hanîfa ===
Dans son Madârik, le cadi ‘Iyâd rapporte : « Al-Layth Ibn Sa‘d rencontra Mâlik alors qu’il sortait d’une réunion avec Abû Hanîfa. Voyant Mâlik essuyer son front ruisselant de sueur, al-Layth lui demanda : « Pourquoi transpires-tu comme cela ? Je transpire, répondit Mâlik, à cause d’Abû Hanîfa. Sache, frère d’Egypte, que cet homme est un juriste digne de ce nom ». Plus tard, comme al-Layth rencontrait Abû Hanîfa et lui disait : « Que de bien Mâlik dit de toi ! », il répondit : « Et moi je ne connais personne qui ait un esprit aussi vif et aussi perspicace ». L’imâm ash-Shâfi‘î a dit à propos d’Abû Hanîfa : « Que celui qui désire plonger dans un océan de science étudie assidûment [l’héritage scientifique laissé par] Abû Hanîfa et ses disciples ; certes, nous avons tous une dette envers lui en matière de jurisprudence ».  
=== Le Fiqh Al-Akbar ===
La doctrine théologique de l’imâm Abû Hanîfa s’apparente dans ces grandes lignes à celle développée plus tard par l’imâm Mâturîdî<ref>Abû Mansûr al-Mâturîdî est mort à Samarqand en 333/944. Abû al-Hasan al-Ash‘arî est né en 260/873-74, à Basra.</ref>, qui fut un de ses francs disciples et qui est considéré à juste titre, lui et l’imâm al-Ash‘arî, comme faisant partie « des gens de la Sunna et du consensus », ou encore, comme les défenseurs de l’orthodoxie sunnite. Disons même qu’en matière de doctrine théologique, hanafisme et mâturidisme en sont venu à être quasiment synonymes. Une des premières professions de foi sunnites qui soit parvenue jusqu’à nous est celle du Fiqh Al-Akbar rédigée par Abû Hanîfa à dessein de se situer clairement par rapport aux sectes hétérodoxes. En voici les points principaux : :<ins>Dieu</ins> :* Dieu est un, n’a pas de partenaire. Rien ne Lui ressemble. :* Les attributs de Dieu sont réels, mais ils ne sont pas comme les attributs humains. :* Dieu est sans corps, sans substance, sans accidents. :* Dieu crée ex nihilo (en partant de rien). :* Dieu est créateur avant de créer. :* Dieu sera vu (de visu) dans l’au-delà, mais sans termes et sans modes. :* La main, le visage de Dieu sont des attributs réels, comme l’ouïe et la vue. :<ins>Le Coran</ins> :* Le Coran est la parole de Dieu incréée et éternelle. :<ins>Les hommes</ins> :* L’acte volontaire de l’homme est créé par Dieu, « acquis » par l’homme. :* Le pécheur reste musulman. :* Le musulman pécheur sera livré au bon vouloir divin dans l’au-delà, si Dieu le veut Il le châtiera, et s’Il veut Il lui fera grâce. :<ins>Les prophètes</ins> :* Les prophètes son impeccables (incapables de pécher). :* L’intercession du Prophète Muhammad ( صلى الله عليه و سلم )au Jour du jugement est réelle. :<ins>La politique</ins> :*Le califat d’Abû Bakr, puis de ‘Umar, puis de ‘Uthmân, puis de ‘Alî, par ordre de priorité, est légitime.
=== La position de l’imâm Abû Hanîfa vis-à-vis des traditions prophétiques ===
S’il est exact que les quatre imâms orthodoxes n’ont pas tous rapporté autant de traditions les uns que les autres – on dit qu’Abû Hanîfa en aurait transmis dix-sept, Mâlik, trois cents dans son Muwatta’ et Ahmad Ibn Hanbal, 30.000 dans son Musnad –, il est parfaitement erroné de déduire de cela que ceux qui en ont transmis peu en avaient peu en mémoire et négligeaient ce domaine. Et comment pourrait-il en être ainsi alors que la Loi musulmane découle en entier du Coran et de la Sunna ?<br /> Non, si les uns ont transmis moins de traditions que d’autres, c’est manifestement pour éviter d’être critiqués et accusés de laxisme par leurs pareils, et parce que leur jugement personnel les conduisait à laisser de côté de nombreuses traditions ou filières défectueuses.<br /> N’oublions pas que si les gens du Hijâz ont été plus prolixes que les Iraquiens, c’est parce que Médine fut la ville où le Prophète Muhammad –sur lui la grâce et la paix – se réfugia et où ses Compagnons se fixèrent ; tandis que ceux d’entre eux qui passèrent en Irâq étaient préoccupés avant tout par le jihâd.<br /> Quant à L’imâm Abû Hanîfa, le chef de l’école Irâquienne, il est vrai qu’il n’a rapporté que peu de traditions, mais c’est précisément parce qu’il était très strict sur les conditions à remplir pour qu’elles soient déclarées valides, n’hésitant pas à les déclarer faibles si quelque condition de recevabilité venait à manquer ou quelque argument logique venait à les contredire.<br /> Et l’on n’a pas le droit de dire que l’imâm Abû Hanîfa s’est abstenu, de propos délibéré, de rapporter des traditions prophétiques, car comme les autres imâms, il était un grand docteur en traditions, ainsi que le prouve la confiance que mettent en lui les traditionnistes, qui citent ses arguments, à la fois pour et contre.<br /> Ainsi, on rapporte qu’étant interrogé à propos d’Abû Hanîfa, l’illustre traditionniste Yahyâ Ibn Sa‘îd al-Qattân répondit : « Craignant Dieu, il ne fait que prôner le savoir dont le Souverain suprême l’a gratifié. Quand nous approuvons une de ses thèses, nous n’hésitons pas à l’adopter ». De même, on rapporte que quand Shu‘ba Ibn al-Hajjâj (mort en 160 de l’Hégire), traditionniste d’autorité, apprit la mort d’Abû Hanîfa, il dit : « Avec lui, vient de disparaître le fiqh de Kûfa. Dieu le comble, lui et nous, de Sa miséricorde ».
== L’imâm Mâlik ==
Savant de Médine, éponyme de l’école mâlikite (né à Médine en 93/ 712 ; mort en 179/ 795 à Médine également). L’imâm Mâlik – Dieu l’agrée – est, chronologiquement, le deuxième des quatre fondateurs des écoles de droit sunnites.  
=== Ses origines ===
La généalogie de l’imâm Mâlik est Mâlik Ibn Anas Ibn Mâlik Ibn Abî ‘Âmir, de la tribu yéménite des Asbah. Sa mère, al-‘Âliyya Bint Sharîk, appartenait à la tribu des Azd. Ceci confirme l’origine arabe de l’imâm Mâlik.
=== Sa vie ===
L’imâm Mâlik naquit à Médine dans une famille versée dans la science du hadîth. Son aïeul, Mâlik Ibn Abî ‘Âmir, de la génération des tâbi‘ûn, de même que son frère, an-Nadr, et ses oncles paternels, furent des docteurs de la Loi confirmés et des traditionnistes émérites. L’imâm Mâlik commença par apprendre le Coran par cœur, puis il se consacra à la mémorisation du hadîth et des avis juridiques des Compagnons. Ses premiers maîtres en sciences religieuses furent Rabî‘a ar-Ra’y, puis Ibn Hurmuz, dont il fut le disciple durant une dizaine d’années. Il fréquenta également Nâfi‘, le client d’Ibn ‘Umar, ainsi qu’Ibn Shihâb az-Zuhrî, de qui il recueillit le hadîth. Se distinguant à l’âge adulte par sa maîtrise des sciences religieuses et par son aptitude à délivrer des avis juridiques, il fut habilité par ses pairs à fonder un cercle d’étude dans la Mosquée du Prophète – sur lui les grâces et la paix –, cercle qu’il présida ensuite dans sa demeure jusqu’à la fin de sa vie. L’ensemble des biographes situe la mort de l’imâm Mâlik autour de l’an 179 de l’Hégire.
=== Ses disciples ===
Parmi les disciples les plus connus de l’imâm Mâlik, citons ‘Abd-Allâh ibn Wahb (125/197), ‘Abd ar-Rahmân Ibn al-Qâsim 128/191), Ashhab Ibn ‘Abd al-‘Azîz al-Qaysî al-‘Âmirî (140/204), Asad Ibn al-Furât Ibn Sinân du Khurâsân (145/213) ou encore ‘Abd al-Malik Ibn al-Mâjishûn.
=== Le Muwatta’===
Œuvre maîtresse de l’imâm Mâlik, le Muwatta’ est un précis conçu comme un manuel commode et consensuel, offrant une sélection d’environ 1900 hadîth embrassant l’ensemble des matières de foi et de loi. Bien que l’ouvrage s’apparente aux recueils de la Tradition, il présente les caractéristiques d’un manuel de méthodologie du droit canonique, d’une part, et de recueil législatif, énonçant des principes applicables en matière civile et pénale, d’autre part. Pour donner un aperçu de la thématique du Muwatta’ : 1088 hadîth qui y sont cités traitent du culte ; 205, du statut personnel ; 257, des transactions ; 85 des peines légales ; 256 de domaines divers.  
=== A propos de l’imâm Mâlik===  
L’imâm ash-Shâfi‘î a dit à propos de Mâlik : « Quels hommes que Mâlik et Ibn ‘Uyayna ! Sans eux, la science du Hijâz aurait disparu en entier ». Il a dit aussi : « Mâlik est mon maître ; tout mon savoir, je le tiens de lui. Il est le firmament des hommes de science et nul ne m’inspire confiance autant que lui ».<br /> L’imâm Ahmad a dit au sujet de Mâlik : « Mâlik est un maître parmi les maîtres dans la science (sacrée) ; il est un imâm dans le hadîth et dans le fiqh. Il s’est inspiré de l’exemple de ses prédécesseurs avec intelligence et finesse. » 
== L’imâm ash-Shâfi‘î ==
Eponyme de l’école shâfi‘ite (né à Ghazza en 150/767 ; mort en 204/ 820 à Fustât). L’imâm ash-Shâfi‘î – Dieu l’agrée – est, chronologiquement, le troisième des quatre fondateurs des écoles de droit sunnites.  
=== Sa généalogie ===
La généalogie de l’imâm ash-Shâfi‘î est Abû ‘Abd-Allâh Muhammad Ibn Idrîs Ibn al-‘Abbâs Ibn ‘Uthmân Ibn Shâfi‘ Ibn as-Sâ’ib Ibn ‘Ubayd Ibn ‘Abd al-Yazîd Ibn Hâshim Ibn al-Muttalib Ibn ‘Abd Manâf Ibn Qusay al-Qurashî. Qurayshite<ref> On rapporte que l’Envoyé de Dieu –sur lui les grâces et la paix – a dit : « Les imâms sont de Quraysh ».</ref>par son père, il descend de la même famille que l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix.<br /> A l’âge de deux ans, l’imâm ash-Shâfi‘î, alors orphelin de père, est emmené par sa mère à la Mecque, chez des parents. Vivant modestement à Shi‘b Ibn al-Khayf, le jeune Muhammad Ibn Idrîs reçoit une éducation propre à son statut de membre de la noblesse Qurayshite : poésie et archerie. Ses longs séjours au sein de la tribu des Hudhaylites, tribu de l’Arabie du Nord, réputée pour la beauté de son parler, lui permettent d’acquérir une très grande maîtrise de la langue et une très belle qualité d’écriture. Il avait, dit-on également, des connaissances en médecine et en physiognomonie (firâsa).<br /> L’enseignement reçu par l’imâm ash-Shâfi‘î se répartit, spatialement, sur deux grandes unités : le Hijâz et l’Irâq.<br /> A la Mecque, il rencontre Muslim Ibn Farwa Abû Khâlid az-Zanjî (m. 179/795), son maître en fiqh avant sa rencontre avec Mâlik, ainsi que Sufyân Ibn ‘Uyayna (m. 198/813) qui lui donna l’autorisation de délivrer des avis juridiques alors qu’il avait à peine quinze ans. A Médine, il fait la connaissance de ‘Abd al-‘Azîz Ibn Muhammad ad-Darâwardî (m. 187/802), qui devient un de ses maîtres en fiqh et en sciences du hadîth, mais il découvre surtout l’imâm Mâlik Ibn Anas, dont il suit l’enseignement pendant une quinzaine d’années.<br /> En Irâq, il approfondit ses connaissances en fiqh auprès de Muhammad Ibn al-Hasan ash-Shaybânî (m. 189/805), Abû Yûsuf Ya‘qûb Ibn Ibrâhîm (m. 182/797), les deux grands disciples de Abû Hanîfa, ainsi que Abû Thawr et d’autres encore. C’est durant son séjour en Irâq que l’imâm ash-Shâfi‘î rencontra l’imâm Ahmad Ibn Hanbal.  
=== Les disciples de l’imâm ash-Shâfi‘î ===  
On distingue trois grands transmetteurs égyptiens de la doctrine juridique de l’imâm ash-Shâfi‘î : Abû Ya‘qûb Yûsuf Al-Buwaytî (m. 231/845), auteur d’un précis de l’œuvre de son maître ; Abû Ibrâhîm Ismâ‘îl al-Muzanî (m. 264/877), également auteur d’un précis ; Abû Muhammad ar-Rabî‘ al-Murâdî, lui aussi auteur d’un précis.<br /> Quant à l’Irak, trois grands transmetteurs jalonnent la diffusion de la doctrine juridique de l’imâm ash-Shâfi‘î en cet endroit du monde : Abû ‘Alî al-Hasan az-Za‘farânî (m. 260/874) ; al-Husayn Ibn ‘Alî al-Karâbîsî (m. 245/859 ou 248/862) ; Abu-l-Qâsim ‘Uthmân al-Anmatî (m. 288/901).
=== La Risâla ===
Parmi les quelques soixante-dix-huit ouvrages composés par l’imâm ash-Shâfi‘î, La Risâla fî usûl al-fiqh occupe une place centrale. Premier traité sur les fondements du droit musulman dans l’histoire de l’Islâm, la Risâla élabore avant tout les usûl, « les racines », par lesquelles on aboutit au fiqh à proprement dit.<br /> Ibn Khaldûn a dit dans sa « Muqaddima » : « Le premier auteur sur les fondements du droit fut ash-Shâfi‘î, qui dicta, là-dessus, sa fameuse Risâla. Il y traite des prescriptions et des interdits, de la syntaxe et du style, des traditions, de l’abrogation et du principe de l’analogie par rapport au motif légal. Plus tard, les juristes hanafites en firent autant. »<br /> C’est aussi un ouvrage fondateur en matière de science des traditions. L’imâm ash-Shâfi‘î y fait en outre une critique radicale du conformisme juridique qui vise, d’une part à discréditer les traditions locales vivantes comme source de droit religieux, et, d’autre part, à ce que les doctrines des imâms ne puissent être invoquées en matière légale sans autre preuve à l’appui que l’autorité dont ces grands maîtres avaient été investis. Il y systématise les principes généraux de la Loi révélée et détermine le cadre dans et par lequel les prescriptions juridiques particulières doivent être formulées.<br /> Fakhr ad-Dîn ar-Râzî a dit à ce sujet : « Avant ash-Shâfi‘î, les gens étaient partagés en deux groupes : les partisans du hadîth et les partisans du raisonnement personnel. Les premiers avaient bien une grande connaissance des hadîth du Prophète – sur lui les grâces et la paix –, mais il étaient incapables de raisonner et de soutenir des controverses ; chaque fois qu’un adversaire leur posait une question ou leur exposait un problème, ils étaient incapables d’y répondre et restaient cois. De même, les seconds étaient versés dans le raisonnement et la controverse, mais leur connaissance des hadîth et de la Sunna étaient insuffisante. Quant à ash-Shâfi‘î – Dieu l’agrée – il était savant aussi bien dans la Sunna du Prophète – sur lui les grâces et la paix – et dans ses règles qu’en matière de controverse et de raisonnement. […] Il prit sur lui de faire triompher les hadîth de l’Envoyé de Dieu – sur lui les grâces et la paix – et il n’est pas de question posée, de problème exposé ni d’ambiguïté soulevée [en ce domaine] sans qu’il y répondît ».  
=== A propos de l’imâm ash-Shâfi‘î ===  
‘Abd-Allâh, un des fils de l’imâm Ahmad, raconte : « Comme je demandai un jour à mon père : « Je t’entends souvent demander la grâce de Dieu pour ash-Shâfi‘î ; quel genre d’homme était-il donc ? », il me répondit : « Ô mon fils, l’imâm ash-Shâfi‘î – Dieu ait son âme – était ce que le soleil est pour le monde et ce que la santé est pour les hommes. Dis-moi, ces deux choses peuvent-elles être remplacées ? ».
== L’imâm Ahmad ==
Eponyme de l’école hanbalite (né à Baghdâd en 164/780 ; mort à Baghdâd en 241/855), l’imâm Ahmad – Dieu l’agrée – est chronologiquement le quatrième des fondateurs des écoles de droit sunnites.
=== Sa vie ===
La généalogie de l’imâm Ahmad est Abû ‘Abd-Allâh Ahmad Ibn Muhammad Ibn Hanbal Ibn Hilâl, de la tribu arabe des Shaybân, la branche la plus noble des Rabî‘a. Sa mère, domiciliée à Marû, dans le Khurâsân, émigra à Baghdâd alors qu’elle était enceinte de lui. C’est dans cette métropole que le jeûne Ahmad naquit et débuta l’étude des sciences religieuses auprès d’imâms illustres tels que Abû Yûsuf, Hushaym Ibn Bashîr al-Wâsitî ou encore ‘Alî Ibn Hashîm Ibn Barîd. Apprenant d’abord le Coran et la rhétorique arabe, l’imâm Ahmad choisit de se consacrer à la mémorisation et à l’étude du hadîth et des propos des Compagnons à partir de 179 et rencontra à cette fin tous les traditionnistes de Baghdâd de l’époque. Puis en 187, il entreprit de voyager à travers le monde à la recherche de la tradition du Prophète – sur lui les grâces et la paix – et des hommes qui l’avaient recueillie. Entre autres hommes de science qu’il rencontra au cours de ses voyages, citons l’imâm ash-Shâfi‘î, Sufyân Ibn ‘Uyayna ou encore Ismâ‘îl Ibn ‘Aliyya. Ce n’est qu’à l’âge de quarante ans que l’imâm Ahmad, de retour à Baghdâd, commença à rapporter le hadîth et à émettre des avis juridiques (fatwa).
=== Les disciples de l’imâm Ahmad ===
Parmi les disciples de l’imâm Ahmad les plus connus, citons ses deux fils Sâlih (mort en 266) et ‘Abd-Allâh (mort en 290), Ahmad Ibn Muhammad Ibn Hâni’ Abû Bakr al-Athram (mort en 273), ‘Abd al-Mâlik Ibn ‘Abd al-Hamîd Mahrân al-Maymûnî (mort en 274), Ahmad Ibn Muhammad Ibn al-Hajjâj Abû Bakr al-Marûzî (mort en 275), Harb Ibn Ismâ‘îl al-Handhalî al-Karmânî (mort en 280) ou encore Ibrâhîm Ibn Ishâq al-Harbî (mort en 285). Cependant, la liste des disciples de l’imâm Ahmad serait incomplète si l’on n’y ajoutait pas le nom de l’illustre Ahmad Ibn Muhammad Ibn Hârûn Abû Bakr al-Khallâl (mort en 311), qui, bien qu’il ait recueilli le fiqh de l’imâm Ahmad de la bouche de ses disciples, est considéré comme le grand compilateur et transmetteur de la doctrine juridique de l’imâm, et, par là même, comme celui qui a posé les bases de l’école hanbalite.
=== Le Musnad de l’imâm Ahmad ===
L’étude des isnâd, des chaînes de transmetteurs, commanda l’effort des ahl al-hadîth qui entreprirent de réunir en corpus les principales traditions prophétiques. Ils le firent selon deux méthodes. La plus ancienne se suffit de grouper les hadîth selon les chaînes de transmetteurs, et à reproduire intégralement ces dernières. On appela ces recueils musnad, entendons « ouvrage fondé sur l’isnâd ininterrompu ». Le plus célèbre Musnad est celui de l’imâm Ahmad Ibn Hanbal.<br /> Ce corpus demeure l’un des usuels de référence en matière de tradition prophétique, même s’il est en marge des recensions canoniques que sont les Sahîh de Bukhârî et Muslim et les Sunan de Abû Dâwûd, at-Tirmidhî, an-Nasâ’î et Ibn Mâjah. Le Musnad de l’imâm Ahmad serait un choix de 31.000 traditions prophétiques tiré d’une masse de 750.000 traditions. Ce qui laisse entendre que toutes les traditions citées dans le Musnad peuvent servir d’argument légal, malgré l’avis contraire d’Ibn Salâh dans son ‘Ulûm al-Hadîth.
=== A propos de l’imâm Ahmad ===
On rapporte que l’imâm ash-Shâfi‘î, quand il parlait de l’imâm Ahmad, ne l’appelait pas par son nom, mais disait en signe de respect : « Notre noble compagnon a dit » ou « Notre noble compagnon nous a informé ».<br /> ‘Abd ar-Rahmân Ibn Mahdî a dit à propos de l’imâm Ahmad : « Chaque fois que je regardais Ahmad ibn Hanbal, il me rappelait Sufyân ath-Thawrî. »

Version actuelle datée du 16 janvier 2023 à 16:37

Avant de parler des quatre écoles de droit sunnites à proprement dit, il convient de connaître l’histoire particulière de ceux qui leur ont donné leurs noms et les faits et les dits qui constituent les vies de ces personnes. En voici un aperçu rapide.

L’imâm Abû Hanîfa

Savant de Kûfa [1], éponyme de l’école hanafite (né à Kûfa en 80 /696 ; mort en 150/ 767). L’imâm Abû Hanîfa – Dieu l’agrée – est, chronologiquement, le premier des quatre fondateurs des écoles de droit sunnites.

Ses origines

Les hagiographes ne sont pas d’accord sur les origines de l’imâm Abû Hanîfa. Pour les uns, sont aïeul paternel, Zûtâ, d’origine perse, aurait été mis en captivité par les musulmans lors de la prise de Kaboul, en Afghanistan. D’abord esclave de la tribu des Banû Tamîm Ibn Tha‘laba, Zûtâ aurait été ensuite affranchi par eux et serait devenu leur client. Pour d’autres, l’aïeul paternel d’Abû Hanîfa serait un certain Nu‘mân ; issu de la noblesse persane, il n’aurait jamais été réduit à l’esclavage. Pour d’autres encore, Zûtâ, l’aïeul d’Abû Hanîfa, serait un arabe de la tribu des Banû Yahyâ Ibn Zayd Ibn Asad ou un des fils de Râshid al-Ansârî ou encore un descendant des Babyloniens. Mais ces deux derniers avis sont récusés par les hagiographes sérieux.

Sa vie

L’imâm Abû Hanîfa est né à Kûfa en l’an 80 de l’Hégire, ville où il passa la majeure partie de sa vie. Son père, Thâbit, aurait été un commerçant aisé et un musulman sincère. On rapporte que, rencontrant ‘Alî Ibn Abî Tâlib, celui-ci aurait invoqué en sa faveur, lui et sa descendance. Intéressé initialement au commerce des soieries, le jeûne Abû Hanîfa fut remarqué par l’imâm Ash-Sha‘bî Ibn Abî Sulaymân qui lui suggéra de côtoyer les docteurs de la Loi de l’époque ; ce qu’il fit. Se distinguant par son intelligence, il apprit le Coran auprès de l’un des sept lecteurs consacrés : l’imâm ‘Âsim – Dieu lui fasse miséricorde. Puis, à l’âge de vingt deux ans, se découvrant un engouement particulier pour la science du droit après avoir étudié à fond la théologie scolastique, il se lança dans l’étude de cette science auprès de l’imâm Hammâd Ibn Abî Sulaymân al-Ash‘arî. Abû Hanîfa étudia le droit auprès de l’imâm Hammâd durant dix huit ans, période au cours de laquelle il côtoya de nombreux autres docteurs, notamment lors de ses pèlerinages répétés à la Mecque. Il est à noter que parmi les hommes de science, l’imâm Abû Hanîfa fréquentait en particulier les Successeurs directs des Compagnons. C’est ainsi qu’il a dit : « J’ai recueilli le fiqh de ‘Umar, ‘Alî, ‘Abd-Allâh Ibn Mas‘ûd et Ibn ‘Abbâs, d’après leurs disciples directs ». Puis à la mort de l’imâm Hammâd, Abû Hanîfa, alors âgé de quarante ans, prit la tête du cercle d’enseignement de son maître et entreprit de délivrer des avis juridiques (fatwas). C’est alors qu’il commença à enseigner les fondements de ce qui deviendrait plus tard l’école hanafite, sous l’impulsion de ses principaux disciples.

Ses maîtres

L’imâm Abû Hanîfa côtoya de nombreux maîtres, parmi lesquels Zayd Ibn ‘Alî Ibn al-Husayn, Ja‘far as-Sâdiq, ‘Abd-Allâh Ibn Hasan Ibn Abî Muhammad an-Nafs az-Zakiyya, ‘Atâ’ Ibn Abî Rabâh et Nâfi‘, le disciple d’Ibn ‘Umar.

Ses disciples

Quant à ses disciples, les plus célèbres d’entre eux sont Abû Yûsuf Ya‘qûb Ibn Ibrâhîm al-Ansârî, Abû ‘Abd-Allâh Muhammad Ibn al-Hasan ash-Shaybânî et Zufar Ibn Hudhayl.

A propos de l’imâm Abû Hanîfa

Dans son Madârik, le cadi ‘Iyâd rapporte : « Al-Layth Ibn Sa‘d rencontra Mâlik alors qu’il sortait d’une réunion avec Abû Hanîfa. Voyant Mâlik essuyer son front ruisselant de sueur, al-Layth lui demanda : « Pourquoi transpires-tu comme cela ? – Je transpire, répondit Mâlik, à cause d’Abû Hanîfa. Sache, frère d’Egypte, que cet homme est un juriste digne de ce nom ». Plus tard, comme al-Layth rencontrait Abû Hanîfa et lui disait : « Que de bien Mâlik dit de toi ! », il répondit : « Et moi je ne connais personne qui ait un esprit aussi vif et aussi perspicace ». L’imâm ash-Shâfi‘î a dit à propos d’Abû Hanîfa : « Que celui qui désire plonger dans un océan de science étudie assidûment [l’héritage scientifique laissé par] Abû Hanîfa et ses disciples ; certes, nous avons tous une dette envers lui en matière de jurisprudence ».

Le Fiqh Al-Akbar

La doctrine théologique de l’imâm Abû Hanîfa s’apparente dans ces grandes lignes à celle développée plus tard par l’imâm Mâturîdî[2], qui fut un de ses francs disciples et qui est considéré à juste titre, lui et l’imâm al-Ash‘arî, comme faisant partie « des gens de la Sunna et du consensus », ou encore, comme les défenseurs de l’orthodoxie sunnite. Disons même qu’en matière de doctrine théologique, hanafisme et mâturidisme en sont venu à être quasiment synonymes. Une des premières professions de foi sunnites qui soit parvenue jusqu’à nous est celle du Fiqh Al-Akbar rédigée par Abû Hanîfa à dessein de se situer clairement par rapport aux sectes hétérodoxes. En voici les points principaux : :Dieu :* Dieu est un, n’a pas de partenaire. Rien ne Lui ressemble. :* Les attributs de Dieu sont réels, mais ils ne sont pas comme les attributs humains. :* Dieu est sans corps, sans substance, sans accidents. :* Dieu crée ex nihilo (en partant de rien). :* Dieu est créateur avant de créer. :* Dieu sera vu (de visu) dans l’au-delà, mais sans termes et sans modes. :* La main, le visage de Dieu sont des attributs réels, comme l’ouïe et la vue. :Le Coran :* Le Coran est la parole de Dieu incréée et éternelle. :Les hommes :* L’acte volontaire de l’homme est créé par Dieu, « acquis » par l’homme. :* Le pécheur reste musulman. :* Le musulman pécheur sera livré au bon vouloir divin dans l’au-delà, si Dieu le veut Il le châtiera, et s’Il veut Il lui fera grâce. :Les prophètes :* Les prophètes son impeccables (incapables de pécher). :* L’intercession du Prophète Muhammad ( صلى الله عليه و سلم )au Jour du jugement est réelle. :La politique :*Le califat d’Abû Bakr, puis de ‘Umar, puis de ‘Uthmân, puis de ‘Alî, par ordre de priorité, est légitime.

La position de l’imâm Abû Hanîfa vis-à-vis des traditions prophétiques

S’il est exact que les quatre imâms orthodoxes n’ont pas tous rapporté autant de traditions les uns que les autres – on dit qu’Abû Hanîfa en aurait transmis dix-sept, Mâlik, trois cents dans son Muwatta’ et Ahmad Ibn Hanbal, 30.000 dans son Musnad –, il est parfaitement erroné de déduire de cela que ceux qui en ont transmis peu en avaient peu en mémoire et négligeaient ce domaine. Et comment pourrait-il en être ainsi alors que la Loi musulmane découle en entier du Coran et de la Sunna ?
Non, si les uns ont transmis moins de traditions que d’autres, c’est manifestement pour éviter d’être critiqués et accusés de laxisme par leurs pareils, et parce que leur jugement personnel les conduisait à laisser de côté de nombreuses traditions ou filières défectueuses.
N’oublions pas que si les gens du Hijâz ont été plus prolixes que les Iraquiens, c’est parce que Médine fut la ville où le Prophète Muhammad –sur lui la grâce et la paix – se réfugia et où ses Compagnons se fixèrent ; tandis que ceux d’entre eux qui passèrent en Irâq étaient préoccupés avant tout par le jihâd.
Quant à L’imâm Abû Hanîfa, le chef de l’école Irâquienne, il est vrai qu’il n’a rapporté que peu de traditions, mais c’est précisément parce qu’il était très strict sur les conditions à remplir pour qu’elles soient déclarées valides, n’hésitant pas à les déclarer faibles si quelque condition de recevabilité venait à manquer ou quelque argument logique venait à les contredire.
Et l’on n’a pas le droit de dire que l’imâm Abû Hanîfa s’est abstenu, de propos délibéré, de rapporter des traditions prophétiques, car comme les autres imâms, il était un grand docteur en traditions, ainsi que le prouve la confiance que mettent en lui les traditionnistes, qui citent ses arguments, à la fois pour et contre.
Ainsi, on rapporte qu’étant interrogé à propos d’Abû Hanîfa, l’illustre traditionniste Yahyâ Ibn Sa‘îd al-Qattân répondit : « Craignant Dieu, il ne fait que prôner le savoir dont le Souverain suprême l’a gratifié. Quand nous approuvons une de ses thèses, nous n’hésitons pas à l’adopter ». De même, on rapporte que quand Shu‘ba Ibn al-Hajjâj (mort en 160 de l’Hégire), traditionniste d’autorité, apprit la mort d’Abû Hanîfa, il dit : « Avec lui, vient de disparaître le fiqh de Kûfa. Dieu le comble, lui et nous, de Sa miséricorde ».

L’imâm Mâlik

Savant de Médine, éponyme de l’école mâlikite (né à Médine en 93/ 712 ; mort en 179/ 795 à Médine également). L’imâm Mâlik – Dieu l’agrée – est, chronologiquement, le deuxième des quatre fondateurs des écoles de droit sunnites.

Ses origines

La généalogie de l’imâm Mâlik est Mâlik Ibn Anas Ibn Mâlik Ibn Abî ‘Âmir, de la tribu yéménite des Asbah. Sa mère, al-‘Âliyya Bint Sharîk, appartenait à la tribu des Azd. Ceci confirme l’origine arabe de l’imâm Mâlik.

Sa vie

L’imâm Mâlik naquit à Médine dans une famille versée dans la science du hadîth. Son aïeul, Mâlik Ibn Abî ‘Âmir, de la génération des tâbi‘ûn, de même que son frère, an-Nadr, et ses oncles paternels, furent des docteurs de la Loi confirmés et des traditionnistes émérites. L’imâm Mâlik commença par apprendre le Coran par cœur, puis il se consacra à la mémorisation du hadîth et des avis juridiques des Compagnons. Ses premiers maîtres en sciences religieuses furent Rabî‘a ar-Ra’y, puis Ibn Hurmuz, dont il fut le disciple durant une dizaine d’années. Il fréquenta également Nâfi‘, le client d’Ibn ‘Umar, ainsi qu’Ibn Shihâb az-Zuhrî, de qui il recueillit le hadîth. Se distinguant à l’âge adulte par sa maîtrise des sciences religieuses et par son aptitude à délivrer des avis juridiques, il fut habilité par ses pairs à fonder un cercle d’étude dans la Mosquée du Prophète – sur lui les grâces et la paix –, cercle qu’il présida ensuite dans sa demeure jusqu’à la fin de sa vie. L’ensemble des biographes situe la mort de l’imâm Mâlik autour de l’an 179 de l’Hégire.

Ses disciples

Parmi les disciples les plus connus de l’imâm Mâlik, citons ‘Abd-Allâh ibn Wahb (125/197), ‘Abd ar-Rahmân Ibn al-Qâsim 128/191), Ashhab Ibn ‘Abd al-‘Azîz al-Qaysî al-‘Âmirî (140/204), Asad Ibn al-Furât Ibn Sinân du Khurâsân (145/213) ou encore ‘Abd al-Malik Ibn al-Mâjishûn.

Le Muwatta’

Œuvre maîtresse de l’imâm Mâlik, le Muwatta’ est un précis conçu comme un manuel commode et consensuel, offrant une sélection d’environ 1900 hadîth embrassant l’ensemble des matières de foi et de loi. Bien que l’ouvrage s’apparente aux recueils de la Tradition, il présente les caractéristiques d’un manuel de méthodologie du droit canonique, d’une part, et de recueil législatif, énonçant des principes applicables en matière civile et pénale, d’autre part. Pour donner un aperçu de la thématique du Muwatta’ : 1088 hadîth qui y sont cités traitent du culte ; 205, du statut personnel ; 257, des transactions ; 85 des peines légales ; 256 de domaines divers.

A propos de l’imâm Mâlik

L’imâm ash-Shâfi‘î a dit à propos de Mâlik : « Quels hommes que Mâlik et Ibn ‘Uyayna ! Sans eux, la science du Hijâz aurait disparu en entier ». Il a dit aussi : « Mâlik est mon maître ; tout mon savoir, je le tiens de lui. Il est le firmament des hommes de science et nul ne m’inspire confiance autant que lui ».
L’imâm Ahmad a dit au sujet de Mâlik : « Mâlik est un maître parmi les maîtres dans la science (sacrée) ; il est un imâm dans le hadîth et dans le fiqh. Il s’est inspiré de l’exemple de ses prédécesseurs avec intelligence et finesse. »

L’imâm ash-Shâfi‘î

Eponyme de l’école shâfi‘ite (né à Ghazza en 150/767 ; mort en 204/ 820 à Fustât). L’imâm ash-Shâfi‘î – Dieu l’agrée – est, chronologiquement, le troisième des quatre fondateurs des écoles de droit sunnites.

Sa généalogie

La généalogie de l’imâm ash-Shâfi‘î est Abû ‘Abd-Allâh Muhammad Ibn Idrîs Ibn al-‘Abbâs Ibn ‘Uthmân Ibn Shâfi‘ Ibn as-Sâ’ib Ibn ‘Ubayd Ibn ‘Abd al-Yazîd Ibn Hâshim Ibn al-Muttalib Ibn ‘Abd Manâf Ibn Qusay al-Qurashî. Qurayshite[3]par son père, il descend de la même famille que l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix.
A l’âge de deux ans, l’imâm ash-Shâfi‘î, alors orphelin de père, est emmené par sa mère à la Mecque, chez des parents. Vivant modestement à Shi‘b Ibn al-Khayf, le jeune Muhammad Ibn Idrîs reçoit une éducation propre à son statut de membre de la noblesse Qurayshite : poésie et archerie. Ses longs séjours au sein de la tribu des Hudhaylites, tribu de l’Arabie du Nord, réputée pour la beauté de son parler, lui permettent d’acquérir une très grande maîtrise de la langue et une très belle qualité d’écriture. Il avait, dit-on également, des connaissances en médecine et en physiognomonie (firâsa).
L’enseignement reçu par l’imâm ash-Shâfi‘î se répartit, spatialement, sur deux grandes unités : le Hijâz et l’Irâq.
A la Mecque, il rencontre Muslim Ibn Farwa Abû Khâlid az-Zanjî (m. 179/795), son maître en fiqh avant sa rencontre avec Mâlik, ainsi que Sufyân Ibn ‘Uyayna (m. 198/813) qui lui donna l’autorisation de délivrer des avis juridiques alors qu’il avait à peine quinze ans. A Médine, il fait la connaissance de ‘Abd al-‘Azîz Ibn Muhammad ad-Darâwardî (m. 187/802), qui devient un de ses maîtres en fiqh et en sciences du hadîth, mais il découvre surtout l’imâm Mâlik Ibn Anas, dont il suit l’enseignement pendant une quinzaine d’années.
En Irâq, il approfondit ses connaissances en fiqh auprès de Muhammad Ibn al-Hasan ash-Shaybânî (m. 189/805), Abû Yûsuf Ya‘qûb Ibn Ibrâhîm (m. 182/797), les deux grands disciples de Abû Hanîfa, ainsi que Abû Thawr et d’autres encore. C’est durant son séjour en Irâq que l’imâm ash-Shâfi‘î rencontra l’imâm Ahmad Ibn Hanbal.

Les disciples de l’imâm ash-Shâfi‘î

On distingue trois grands transmetteurs égyptiens de la doctrine juridique de l’imâm ash-Shâfi‘î : Abû Ya‘qûb Yûsuf Al-Buwaytî (m. 231/845), auteur d’un précis de l’œuvre de son maître ; Abû Ibrâhîm Ismâ‘îl al-Muzanî (m. 264/877), également auteur d’un précis ; Abû Muhammad ar-Rabî‘ al-Murâdî, lui aussi auteur d’un précis.
Quant à l’Irak, trois grands transmetteurs jalonnent la diffusion de la doctrine juridique de l’imâm ash-Shâfi‘î en cet endroit du monde : Abû ‘Alî al-Hasan az-Za‘farânî (m. 260/874) ; al-Husayn Ibn ‘Alî al-Karâbîsî (m. 245/859 ou 248/862) ; Abu-l-Qâsim ‘Uthmân al-Anmatî (m. 288/901).

La Risâla

Parmi les quelques soixante-dix-huit ouvrages composés par l’imâm ash-Shâfi‘î, La Risâla fî usûl al-fiqh occupe une place centrale. Premier traité sur les fondements du droit musulman dans l’histoire de l’Islâm, la Risâla élabore avant tout les usûl, « les racines », par lesquelles on aboutit au fiqh à proprement dit.
Ibn Khaldûn a dit dans sa « Muqaddima » : « Le premier auteur sur les fondements du droit fut ash-Shâfi‘î, qui dicta, là-dessus, sa fameuse Risâla. Il y traite des prescriptions et des interdits, de la syntaxe et du style, des traditions, de l’abrogation et du principe de l’analogie par rapport au motif légal. Plus tard, les juristes hanafites en firent autant. »
C’est aussi un ouvrage fondateur en matière de science des traditions. L’imâm ash-Shâfi‘î y fait en outre une critique radicale du conformisme juridique qui vise, d’une part à discréditer les traditions locales vivantes comme source de droit religieux, et, d’autre part, à ce que les doctrines des imâms ne puissent être invoquées en matière légale sans autre preuve à l’appui que l’autorité dont ces grands maîtres avaient été investis. Il y systématise les principes généraux de la Loi révélée et détermine le cadre dans et par lequel les prescriptions juridiques particulières doivent être formulées.
Fakhr ad-Dîn ar-Râzî a dit à ce sujet : « Avant ash-Shâfi‘î, les gens étaient partagés en deux groupes : les partisans du hadîth et les partisans du raisonnement personnel. Les premiers avaient bien une grande connaissance des hadîth du Prophète – sur lui les grâces et la paix –, mais il étaient incapables de raisonner et de soutenir des controverses ; chaque fois qu’un adversaire leur posait une question ou leur exposait un problème, ils étaient incapables d’y répondre et restaient cois. De même, les seconds étaient versés dans le raisonnement et la controverse, mais leur connaissance des hadîth et de la Sunna étaient insuffisante. Quant à ash-Shâfi‘î – Dieu l’agrée – il était savant aussi bien dans la Sunna du Prophète – sur lui les grâces et la paix – et dans ses règles qu’en matière de controverse et de raisonnement. […] Il prit sur lui de faire triompher les hadîth de l’Envoyé de Dieu – sur lui les grâces et la paix – et il n’est pas de question posée, de problème exposé ni d’ambiguïté soulevée [en ce domaine] sans qu’il y répondît ».

A propos de l’imâm ash-Shâfi‘î

‘Abd-Allâh, un des fils de l’imâm Ahmad, raconte : « Comme je demandai un jour à mon père : « Je t’entends souvent demander la grâce de Dieu pour ash-Shâfi‘î ; quel genre d’homme était-il donc ? », il me répondit : « Ô mon fils, l’imâm ash-Shâfi‘î – Dieu ait son âme – était ce que le soleil est pour le monde et ce que la santé est pour les hommes. Dis-moi, ces deux choses peuvent-elles être remplacées ? ».

L’imâm Ahmad

Eponyme de l’école hanbalite (né à Baghdâd en 164/780 ; mort à Baghdâd en 241/855), l’imâm Ahmad – Dieu l’agrée – est chronologiquement le quatrième des fondateurs des écoles de droit sunnites.

Sa vie

La généalogie de l’imâm Ahmad est Abû ‘Abd-Allâh Ahmad Ibn Muhammad Ibn Hanbal Ibn Hilâl, de la tribu arabe des Shaybân, la branche la plus noble des Rabî‘a. Sa mère, domiciliée à Marû, dans le Khurâsân, émigra à Baghdâd alors qu’elle était enceinte de lui. C’est dans cette métropole que le jeûne Ahmad naquit et débuta l’étude des sciences religieuses auprès d’imâms illustres tels que Abû Yûsuf, Hushaym Ibn Bashîr al-Wâsitî ou encore ‘Alî Ibn Hashîm Ibn Barîd. Apprenant d’abord le Coran et la rhétorique arabe, l’imâm Ahmad choisit de se consacrer à la mémorisation et à l’étude du hadîth et des propos des Compagnons à partir de 179 et rencontra à cette fin tous les traditionnistes de Baghdâd de l’époque. Puis en 187, il entreprit de voyager à travers le monde à la recherche de la tradition du Prophète – sur lui les grâces et la paix – et des hommes qui l’avaient recueillie. Entre autres hommes de science qu’il rencontra au cours de ses voyages, citons l’imâm ash-Shâfi‘î, Sufyân Ibn ‘Uyayna ou encore Ismâ‘îl Ibn ‘Aliyya. Ce n’est qu’à l’âge de quarante ans que l’imâm Ahmad, de retour à Baghdâd, commença à rapporter le hadîth et à émettre des avis juridiques (fatwa).

Les disciples de l’imâm Ahmad

Parmi les disciples de l’imâm Ahmad les plus connus, citons ses deux fils Sâlih (mort en 266) et ‘Abd-Allâh (mort en 290), Ahmad Ibn Muhammad Ibn Hâni’ Abû Bakr al-Athram (mort en 273), ‘Abd al-Mâlik Ibn ‘Abd al-Hamîd Mahrân al-Maymûnî (mort en 274), Ahmad Ibn Muhammad Ibn al-Hajjâj Abû Bakr al-Marûzî (mort en 275), Harb Ibn Ismâ‘îl al-Handhalî al-Karmânî (mort en 280) ou encore Ibrâhîm Ibn Ishâq al-Harbî (mort en 285). Cependant, la liste des disciples de l’imâm Ahmad serait incomplète si l’on n’y ajoutait pas le nom de l’illustre Ahmad Ibn Muhammad Ibn Hârûn Abû Bakr al-Khallâl (mort en 311), qui, bien qu’il ait recueilli le fiqh de l’imâm Ahmad de la bouche de ses disciples, est considéré comme le grand compilateur et transmetteur de la doctrine juridique de l’imâm, et, par là même, comme celui qui a posé les bases de l’école hanbalite.

Le Musnad de l’imâm Ahmad

L’étude des isnâd, des chaînes de transmetteurs, commanda l’effort des ahl al-hadîth qui entreprirent de réunir en corpus les principales traditions prophétiques. Ils le firent selon deux méthodes. La plus ancienne se suffit de grouper les hadîth selon les chaînes de transmetteurs, et à reproduire intégralement ces dernières. On appela ces recueils musnad, entendons « ouvrage fondé sur l’isnâd ininterrompu ». Le plus célèbre Musnad est celui de l’imâm Ahmad Ibn Hanbal.
Ce corpus demeure l’un des usuels de référence en matière de tradition prophétique, même s’il est en marge des recensions canoniques que sont les Sahîh de Bukhârî et Muslim et les Sunan de Abû Dâwûd, at-Tirmidhî, an-Nasâ’î et Ibn Mâjah. Le Musnad de l’imâm Ahmad serait un choix de 31.000 traditions prophétiques tiré d’une masse de 750.000 traditions. Ce qui laisse entendre que toutes les traditions citées dans le Musnad peuvent servir d’argument légal, malgré l’avis contraire d’Ibn Salâh dans son ‘Ulûm al-Hadîth.

A propos de l’imâm Ahmad

On rapporte que l’imâm ash-Shâfi‘î, quand il parlait de l’imâm Ahmad, ne l’appelait pas par son nom, mais disait en signe de respect : « Notre noble compagnon a dit » ou « Notre noble compagnon nous a informé ».
‘Abd ar-Rahmân Ibn Mahdî a dit à propos de l’imâm Ahmad : « Chaque fois que je regardais Ahmad ibn Hanbal, il me rappelait Sufyân ath-Thawrî. »

  1. Koufa ou Kûfa (الكوفة [al-kūfa]) est une ville d'Irak, environ 170 km au sud de Bagdad, et à 10 km au Nord-est de Nadjaf. Elle est située sur les rives du fleuve Euphrate. La population en 2003 était estimée à 110 000 habitants. C'est la deuxième ville de la province de Nadjaf.
  2. Abû Mansûr al-Mâturîdî est mort à Samarqand en 333/944. Abû al-Hasan al-Ash‘arî est né en 260/873-74, à Basra.
  3. On rapporte que l’Envoyé de Dieu –sur lui les grâces et la paix – a dit : « Les imâms sont de Quraysh ».